C’est un bien joli titre - comme un écho au roman best-seller de Thomas Schlesser « Dans les yeux de Mona » paru en février 2024 chez Albin Michel - que Cyril Gely a choisi pour sa pièce. À partir d’un épisode de la vie du peintre Claude Monet qui séjourna sept mois durant l'année 1892, à Rouen pour y peindre la cathédrale, il a imaginé une rencontre originale et envoûtante. Mettre la peinture en scène n’est jamais aisé mais le pari est plus que réussi.

Dans les yeux de Monet

Visuel : Dans les Yeux de Monet ©Cyril Bruneau-Théâtre de  la Madeleine

Préparez-vous à vivre un quasi-huis-clos, dans un décor magnifié par un subtil travail des lumières pour nous plonger dans la palette du peintre, nous faisant passer de ses ténèbres à à la lumière retrouvée.

En fond musical : l'une des mystérieuses Gymnopédies d’Erik Satie, considéré comme l'inventeur de la « musique du silence » . Le rideau se lève. Une sous-pente, aménagée en atelier. Ce refuge a été déniché par l’ami et grand marchand d’art Paul Durand-Ruel. Claude Monet est en panne d’inspiration, il n’arrive plus à saisir la lumière. On le voit entrer, totalement voûté, replié sur lui-même, recroquevillé dans son large manteau. Au désespoir de son ami marchand, il ne veut ni ne peut plus peindre. Encore éprouvé par le chagrin de la perte de son épouse, morte il y a 13 ans, l’artiste est comme prostré. Ses deux enfants ont grandi ; il se sent seul, en plein doute. Alors pour lui donner les moyens de s’adonner à son art, Paul Durand-Ruel le convainc de s’installer et de vivre là, quasi enfermé, dans cet atelier, situé en face de la fameuse cathédrale.

Petit détail : au-dessous, se trouve la boutique de lingerie du propriétaire. Et là telle une apparition, surgit dans l'atelier, élégante et tourbillonnante, une des vendeuses, venue en douce, avant l’ouverture, faire un essayage : elle n’a visiblement pas été mise au courant de l’arrivée de ce locataire bougon et si peu affable. La ravissante jeune femme prénommée Camille - comme feu son épouse ! - va pourtant réussir à l’amadouer. De jour en jour, elle lui insuffle le regain de vie qui l’avait déserté ; elle parvient à l’apprivoiser, créant la petite étincelle nécessaire pour illuminer à nouveau son quotidien et sa palette ! Mal léché, l’ours bourru reprend du poil de la bête. Les toiles s'enchaînent peu à peu mais il ne peut plus se passer de la présence de la mystérieuse jeune femme. Pourra-t-il honorer la commande promise par Durand-Ruel à l’un de ses clients collectionneurs ? Sa visite repoussée est annoncée : il va devoir montrer la production du maître !
Une distribution à la hauteur

Visuel : Dans les Yeux de Monet ©Cyril Bruneau-Théâtre de la Madeleine

Passer des ténèbres à la lumière, passer du vide à l’inspiration, c’est cette métamorphose qu’incarne avec une grande justesse Clovis Cornillac. Si le démarrage semble un peu lent, sans doute pour mieux suggérer l’apathie de l’artiste, le trio de comédiens se déploie et s’anime en même temps que Monet reprend goût à son art.

Sous nos yeux de spectateurs éblouis, nous assistons au moment de création pure d’une œuvre magistrale : la cathédrale de Rouen. Pour que la magie opère, il lui aura fallu être touché par la grâce de cette muse. Si Clovis Cornillac est tout à son aise dans son interprétation de Monet, ses deux partenaires Maud Baecker et Éric Prat - sous la direction de Tristan Petitgirard - complètent à merveille le casting.

Le rideau baissé, les applaudissements et les trois rappels largement mérités, fusent ; on peut juste regretter que le billet ne soit pas couplé à un pass pour accéder immédiatement au musée d’Orsay ! Après cet envoûtant huis-clos, sans doute aurez-vous envie de vous y précipiter pour admirer les toiles « la série des Cathédrales de Rouen » , et saisir tout ce qu’elles recèlent de l’âme et des tourments du peintre - sa part d’ombre et de mystère -, en restant fidèle à tout jamais à sa Camille.
Informations pratiques

À lire évidemment en prolongement de cette pièce : le roman de la rentrée, signé Grégoire Bouillier : « Le syndrome de l’Orangerie », une véritable enquête policière autour des nymphéas qui illustre pleinement le propos de cette pièce.

Interviewé sur France Culture, l’auteur expliquait très justement : « Monet est le premier à avoir inventé la peinture sérielle, il invente la série, et dans la série, il y a la répétition, et aujourd’hui, vous n'avez plus une œuvre d'art qui puisse se revendiquer comme un chef-d'œuvre unique. (…) Ce qui est très intéressant chez Monet, c’est que lui, qui n’était pas du tout théoricien, ait, de façon émotive, et à mon avis, pour des raisons de deuil, créé ce principe de répétition : c’est un principe morbide, mais il donne l’illusion de la vie. »

« Dans les yeux de Monet »
 jusqu'à fin décembre 2024 
Théâtre de la Madeleine 
19 rue de Surène 
75008 Paris
Du mercredi au samedi à 21 h
Durée : 1h 30
De 17 à 47 €

Tél. : 01 86 47 23 71

www.theatre-madeleine.com

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