A l’occasion du bicentenaire de la Société de Géographie, la Bibliothèque nationale de France (BnF) consacre jusqu’au 22 août une exposition sur l’exploration au XIXème siècle. Près de 200 pièces offrent un nouveau regard sur les découvertes de l’époque et mettent en lumière des acteurs connus ou oubliés.

Le mythe de l’exploration

Au XIXème siècle, un mythe s’est créé autour de l’explorateur, héros solitaire et intrépide parti à la découverte des zones laissées en blanc sur les cartes. Le fantasme des territoires explorés, vierges de toute histoire et de tout habitant, est entretenu par l’imagerie populaire et la littérature de voyage. Les explorateurs nourrissent ce mythe en allant à la recherche d’autres aventuriers, tel Dumont d’Urville sur les traces de La Pérouse. Les écrivains s’en inspirent, tel Jules Verne, dont l’imagination est attisée par les récits d’exploration.

Mais la réalité du terrain ne reflète pas les contes héroïques. Les écrits de voyage, qui ont fait rêver des générations, cachent une multitude de personnages de l’ombre, y compris des femmes, et occultent les tentatives d’appropriations territoriales et le bruit des armes. S’appuyant sur les archives de la Société de Géographie, conservées par la BnF, et sur des prêts notamment du musée Guimet et du musée du Quai Branly, cette exposition apporte un nouvel éclairage sur l’exploration au XIXème siècle.

Carte d’Afrique divisée en ses principaux états avec les découvertes faites dans les derniers voyages par Eustache Hérisson, 1820
BnF, département des Cartes et Plans ©BnF
Accroître les découvertes géographiques

La Société de Géographie a été fondée en décembre 1921 par une élite savante de 217 personnalités, parmi lesquelles Cuvier, Chaptal, Champollion, Châteaubriand et la plupart de ceux qui ont accompagné Bonaparte dans l’expédition d’Egypte. Outre le désir de faire avancer les connaissances géographiques et de nourrir les savoirs comme l’anthropologie et l’archéologie, elle souhaite assister les explorateurs, guider leurs observations, analyser et publier leurs résultats. Mais elle veut également évaluer les richesses exploitables à l’heure de l’expansion des empires coloniaux.

L’exposition montre que l’entreprise exploratoire n’était pas seulement désintéressée. « Des motivations politiques et commerciales entrent en jeu. Dans la seconde moitié du XIXème siècle, il y a une imbrication entre mission d’exploration et appropriation territoriale. Par exemple les missions de Joseph Gallieni entre 1880 et 1900 au Soudan, au Tonkin et à Madagascar, qui incarnent découverte géographique et conquête coloniale », explique le conservateur général de la BnF, Olivier Loiseaux.


Passage de l’Aouache [Ethiopie] Charles Rochet d’Héricourt,
1841 BnF, Société de géographie ©BnF, SG
La préparation savante du voyage

La scénographie s’organise en trois temps. D’abord les préparatifs. La Société de Géographie parrainait les explorateurs, rédigeait à leur intention une feuille de route avec des instructions autour de ses attentes scientifiques, établissait la liste des instruments indispensables, à laquelle s’ajoutaient manuels pratiques, avec des conseils d’hygiène, et vade-mecum personnel à compléter sur le terrain. « L’explorateur avait besoin d’une caution scientifique et partait souvent missionné par une institution ou par la puissance publique », continue Olivier Loiseaux.

Mais l’exploration n’était pas le seul apanage du Vieux Continent. La curiosité géographique se développait aussi dans d’autres contrées, où les souverains commanditaient ou finançaient des explorations. Telles l’expédition du capitaine Sélim envoyé par Méhémet Ali sur le Haut-Nil, la reconnaissance du Tibet par le pundit Nain Singh et les enquêtes de l’abbé David Boilat au Sénégal.


Nain Singh, chief Pundit, Kishan Singh,
asst Pundit, an ordinary Lama
c. 187.
BnF, Société de géographie ©BnF, SG
 
Sur le terrain 

La plus grande partie de l’expo, le second temps, offre un panorama des diverses pratiques sur le terrain. Dans les malles des explorateurs, on découvre mille objets, baromètres, chronomètres, théodolite pour mesurer la terre parcourue, crayons, pinceaux, appareils photos et matériels de collecte de fouille.

Autres témoins, leurs tenues. Les explorateurs doivent déployer des stratagèmes pour se déplacer sans attirer l’attention et éviter de susciter méfiance et curiosité. 

Certains voyageurs revêtent un costume local, tel René Caillé. En 1827 ayant appris l’existence d’un prix offert par la Société de Géographie au premier européen qui pénètrerait dans la mythique Tombouctou, il se lance dans l’aventure, déguisé en pèlerin en route pour la Mecque sous le nom d’Abdallahi et se cache pour prendre des notes. Il y parviendra le 20 avril 1828 au terme d’une année de voyage.

Les exploratrices adoptent un costume masculin, telle Octavie Coudreau (illustration) qui mènera avec son mari quatre ans d’exploration pour établir une cartographie précise des affluents de l’Amazone. Initiée au maniement des instruments scientifiques, elle poursuivra, durant sept ans dès 1899 à la mort de son mari, sa mission dont elle tire des récits de voyages illustrées de photographies.

Certains doivent même dissimuler les informations transportées, tel Charles Huber qui parcourt l’Arabie, coiffé d’un chèche de 2m de long sur lequel il note de précieuses observations géologiques, ethnographiques et archéologiques.

René Caillié prenant des notes
c. 1828-1830
BnF, département des Manuscrits ©BnF
Les auxiliaires oubliés

Tous adoptent un mode de vie nomade, dormant sous tente, cheminant sur des terrains difficiles dans des climats parfois extrêmes, tel Fernand Foureau. Il accomplira neuf missions d’exploration au Sahara entre 1882 et 1896, multipliera les relevés topographiques, météorologiques, géologiques, et sera médaillé en 1901 pour sa mission transsaharienne.

Les documents présentés montrent qu’une exploration est une entreprise collective. Ces aventuriers doivent leur renommée aux nombreux auxiliaires, porteurs, guides, interprètes et parfois escorte armée, qui les entourent au quotidien. Certains même forment des binômes inséparables avec leur accompagnateur, tels Jules Crevaux en Guyane et son fidèle Apatou, ancien esclave souvent présenté comme son Vendredi, ou Charles de Foucauld qui n’aurait jamais pu pénétrer au Maroc sans l’aide du rabbin Mardochée Ben Serour, qui mourra oublié et dans la misère.

Dans l’Ouar [paysage du Sahara algérien] Fernand Foureau, 1896
BnF, Société de géographie ©BnF, SG

Retour d’expédition

Dans les collections, subsistent aussi des objets qui ont servi de monnaie d’échange. Miroirs, perles de verre, textiles témoignent de la réalité des transactions et d’une économie d’exploration, les négociations étant nécessaires pour pouvoir progresser. Dans le dernier tiers du XIXème siècle, avec l’expansion impériale des puissances occidentales, le métier d’explorateur prend en Asie et en Afrique une dimension coloniale affirmée et la mission devient militaro-scientifique. 

La troisième phase de l’expo est le retour du voyageur avec la compilation des résultats, le carnet de voyage devenant une publication qui sera diffusée auprès des scientifiques.

L’exposition s’achève par une projection photographique semblable à celles qui illustraient les conférences de la Société de Géographie. Ceux qui avaient parcouru ces régions parfois hostiles racontaient leurs exploits à un public éclairé, avide de découvrir de nouveaux mondes, fasciné par les horizons lointains.  

Exposition « visages de l’exploration au XIXème siècle. Du mythe à l’histoire »
Jusqu’au 22 août 2022.
BNf François Mitterrand, Galerie 1.