Architecte designer, Jean-Philippe Nuel enchaine les projets en France et dans le monde. Devenu une signature internationale de l’architecture d’intérieur de luxe, il met son savoir-faire au service de projets d’hôtels, restaurants, résidences privées, concepts stores, sièges sociaux ou encore de bateaux de croisière. Esthète élégant, lui qui aime tant l’écriture de Proust, il conçoit ses projets comme on écrit un roman à la recherche d’une atmosphère, d’un décor, de personnages, de la grammaire du lieu,… Ecoutons-le se raconter à Hélène Feltin.
®JF Jaussaud
Cher Jean-Philippe, quel est votre parcours, d’où venez -vous ?
Après des études d’architecture dans l’école historique des Beaux-Arts, j’ai commencé à travailler en théorie d’architecture. A moins de 30 ans, je me suis mis à mon compte, j’ai passé des concours où j’ai eu la chance d’être primé quelques fois. Ma première réalisation fut un boutique hôtel à Paris, Le clos Médicis rue Monsieur le Prince, en tant qu’architecte et architecte d’intérieur. Pour un tout jeune architecte qui n’avait pas 30 ans, c’était un mélange d’angoisse et de passion. Et, alors que je n’avais pas fini cet hôtel, on m’en a proposé d’autres ; des boutique hôtels, je suis passé aux hôtels de chaine, puis j’ai travaillé pendant 10 ans avec des boites japonaises.
Canopy By Hilton Paris Trocadéro ®Nicolas Matheus
Quels sont vos guides ?
J’en ai plusieurs. J’aime beaucoup les architectes japonais entre autres Kengo Kuma, mais aussi toute l’école américaine des années 50 avec Richard Neutra ou des designers comme Charles Eames. Le travail de Le Corbusier en France reste quelque chose d’unique. Je trouve aussi qu’il y a une écriture française dont je me revendique un peu. J’ai beaucoup de mes confrères qui font de belles choses.
Le Commandant Charcot -Ponant ®Gilles Trillard
Quand est né Studio Jean-Philippe Nuel, architecture et design ?
A Nogent-sur-Marne, c’est un joli concours de circonstance. L’agence est installée depuis 25 ans dans un ancien casino guinguette au bord de la Marne. A New York, le Studio
Jean-Philippe Nuel & Partners fut une question d’opportunité grâce à ma rencontre avec Sandy Despres Stevens. En fait, en France, je suis une agence assez importante au niveau de la décoration intérieure (trente personnes), mais aux USA, on s’aperçoit qu’on est tout petit, que si l’on n’est pas sur place, on va faire un ou deux projets et c’est tout. Pour créer aux USA, il faut avoir un vrai ancrage sans oublier les normes américaines. J’aurais pu ouvrir un studio au Japon où j’ai travaillé pendant dix ans. A l’époque, j’étais un peu jeune pour envisager tout ça. Aujourd’hui, c’est un petit regret, même s’il n’est jamais trop tard ! Enfin, j’ai quand même la chance d’y retourner de temps en temps, et encore récemment avec l’ouverture d’un Club Med à Hokkaido. Ce fut sympa et émouvant d’y revenir.
Hôtel Léonor Strasbourg ®Nicolas Matheus
Quels sont les critères de sélection de vos projets ? Comment les choisissez – vous ?
C’est un métier qui reste un peu aléatoire, donc c’est difficile de refuser des projets. Il y a tellement d’imprévus, de plus en plus de concours même dans le domaine privé qu’il faut rester à l’écoute des clients potentiels. Nous ne faisons pas de démarchage, ce sont les clients qui viennent à nous. Personnellement, j’ai souvent l’opportunité d’accepter ou de refuser un projet. Mon critère de sélection, c’est un peu la passion du projet. Cela peut être lié à la personnalité du propriétaire, à l’endroit, et pas forcément à sa taille. J’aime écouter le un client, il m’emmène dans un autre univers ; je ne tourne pas en rond dans le mien, je me projette, et ensuite j’aime bien qu’il me fasse confiance.
Dans les périodes assez fastes, on ne peut pas tout faire car je gère aussi une équipe et de l’humain avec toutes ses forces et ses faiblesses. J’essaie encore de rester fidèle aux personnes avec qui j’ai déjà travaillé. Par exemple, j’ai commencé à travailler avec Ponant quand il n’avait que deux petits navires. Aujourd’hui, ils ont quatorze navires importants. J’ai également contribué au travail de construction de leur identité, une aventure passionnante. Des liens se sont tissés au fil des années, nous avons une relation qui est très proche.
Tour Alto Paris ®Luc BoeglyComment travaillez-vous ?
La façon de travailler aujourd’hui est très codée. Il y a des étapes dans l’élaboration avec des photos, des moodboards, des dessins, des petits films. La communication est tellement importante. En général, je me déplace seul ou avec le chef de projet. L’agence est structurée elle-même avec le chef d’agence, des directeurs projets, des chefs projets,... Nous sommes dans un univers où on doit être performant, dans la rationalité. La plupart des projets sont des enjeux financiers lourds. L’équipe est un peu plus féminine, c’est le métier qui le veut. Les femmes sont assez perfectionnistes. Je suis né dans une famille de quatre enfants et j’avais trois sœurs, donc j’ai eu l’habitude de côtoyer des femmes.
Hôtel Hélianthal Thalazur Saint Jean de Luz ®Gilles Trillard
Peut-on parler d’un ADN Jean Philippe Nuel ?
J’aborde chaque projet de façon différente car chaque histoire est différente. J’aime beaucoup la littérature, le cinéma, et faire un projet est un peu du même ordre. Je me plonge dans un univers, je fais des recherches, j’essaie de construire un environnement qui n’est pas seulement esthétique, mais aussi émotionnel. Quand vous passez devant le Grand Hôtel-Dieu de Lyon ou devant l’Hôtel Molitor Paris, bien qu’ils soient tous les deux des monuments historiques, ce sont des écritures largement différentes parce que le lieu m’a inspiré des choses différentes. D'un point de vue esthétique, je n'aime pas les
choses sur écrites, j’aime les écritures fluides, que la phrase ait du sens. Dans mon travail, c’est la même chose.
Hôtel Molitor Paris
Passez- vous du temps dans les lieux que vous allez créer et dans ceux que vous avez créés ?
Dans ceux que je vais créer évidemment car j’ai besoin de sentir le lieu, de voir quels sont les éléments qui vont m’accrocher, me donner de l’inspiration. Quand j’ai travaillé sur l’Intercontinental Marseille Hôtel Dieu, je ne connaissais pas bien la ville. C’est la ville qui m’a inspiré avec sa minéralité, sa lumière, ses bâtiments emblématiques et la présence de la mer. J’ai besoin de construire mon propre paysage pour créer un projet. Je fais souvent des études spécifiques sur le lieu, le quartier. Je lis beaucoup : Un Hôtel- Dieu, ce sont les frères Hospitaliers ; j’ai donc choisi la retenue. Pour ce projet lyonnais, j’utilise d’ailleurs le mot luxe humble qui correspond bien à l’ADN du lieu.
Je n’aime pas beaucoup passer du temps dans les lieux que j’ai réalisés car je ne suis pas détendu, toujours à la recherche de ce que j’aurais pu faire autrement, d’un détail que personne ne voit, mais que moi je vois. Je préfère attendre que le projet soit plus ancien et je suis plus apaisé vis-à-vis de lui. Par exemple, j’ai eu la chance de naviguer avec Ponant, de faire des croisières en Méditerranée Venise / Istanbul ou Athènes/ Venise. C’est tellement merveilleux de voir des lieux mythiques par la mer, de les voir arriver ou de s’en éloigner en bateau.
L’Intercontinental Marseille Hôtel Dieu
Quelle est votre actualité ?
Nous devons avoir une vingtaine de projets en cours. Je travaille sur le Spa du Negresco à Nice. C’est la vision créative et assez débridée de l’ancienne propriétaire qui m’inspire. Au début, l’hôtel me faisait un peu peur, mais en le visitant, ça a été comme une espèce de déclic.
L’Hôtel Léonor à Strasbourg est un projet que j’aime beaucoup. Et pourtant, tout a été compliqué dans le contexte sanitaire actuel. Ma démarche ici fut de conjuguer identité de la ville, histoire et vision du lieu.
A Saint Emilion, c’est un projet double avec la rénovation du Château et la création du chai de Fonroque. J’interviens sur le chai en tant qu’architecte, un passage obligé pour un architecte de nos jours.
Ma rencontre avec Patrick Bruel est une belle histoire. Un jour, j’ai reçu un coup de film de Joel Gayet, l’oncle de Julie Gayet, avec qui il travaille. Deux jours plus tard, j’ai déjeuné avec Patrick Bruel et il m’a présenté son projet à l’Isle-sur-la-Sorghe. Patrick est quelqu’un de très intuitif et j’ai eu la chance que ça matche entre nous. Ici, il sera question d’ancrer l’hôtel dans son environnement, en bordure d’un des bras de la Sorghe, car l’ancienne bâtisse a été rasée. On partira donc de zéro, sans tomber dans le pastiche, ce n’est pas un exercice facile mais cela le rend passionnant.
Enfin, j’ai envie de vous parler de la rénovation du Sofitel New York. Je vais partir sur les traces de Pierre-Yves Rochon, un grand monsieur de la décoration française que je connais bien. C’est un magnifique projet dans un emplacement mythique.
Grand Hôtel-Dieu de Lyon
Quelle est votre définition du luxe ?
J’aime bien mettre le mot élégance en face du mot luxe. Dans l’élégance, il y a une dimension morale, on parle d’élégance morale. C’est le contraire de la vulgarité. C’est quelque chose d’assez français, d’un peu nonchalant. C’est le mot qui selon moi incarne le mieux la définition du luxe.
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