En levant la tête dans la rue de L'Outre à Strasbourg, je souris car j'aperçois une enseigne plutôt hors norme et exotique : Un Crocodile. Souvenir de la fameuse Campagne d’Egypte, l’animal est devenu l’emblème d’une table étoilée par le guide Michelin. Ce soir, je dîne chez le nouveau Chef Romain Brillat qui puise « son inspiration entre autre dans le terroir alsacien ». Dégustons sa carte avant de l’écouter se raconter. Rencontre avec Hélène Feltin.

   
Bastien Seon ©

Qui est Romain Brillat, le nouveau chef du Crocodile ?

Originaire de l’Ain, formé à l’école hôtelière de Thonon-les-Bains, Romain fait ses armes pendant cinq ans en région Auvergne-Rhône-Alpes. Puis, il revient à Lyon pour seconder le Chef Mathieu Viannay doublement étoilé à la Mère Brazier : « C’était ma première maison étoilée et j’en garde un grand souvenir. J’étais second de cuisine au bout de six mois ». Après une expérience difficile à Milan, le Chef Brillat doute de son envie de travailler en cuisine. Il se lance alors un défi : Rejoindre une table triplement étoilée pour se dégoûter totalement du métier. Mais, dans le restaurant du Chef Gilles Goujon L’Auberge du Vieux Puits à Fontjoncouse, il découvre « les réalités de la très haute gastronomie, un chef dur mais attachant, humain et grand formateur, un fou du produit ». Romain Brillat y passera huit belles années pour devenir second de cuisine : « Il n’y avait pas vraiment de chef exécutif chez lui. Quand il était là, je travaillais à ses côtés ; quand il n’était pas là, je prenais en charge la cuisine ». Et puis voilà, à 34 ans, ce Chef a envie de changement, d’être autonome : « J’étais vraiment très bien à l’Auberge du Vieux Puits, mais il y a un moment où l’envie de changer est plus forte ». Alors, quand Gilles Goujon et Cédric Moulot (propriétaire du Crocodile avec le groupe SALPA) pensent à lui pour reprendre les rênes du Crocodile à Strasbourg, il n’hésite pas une seconde. Il franchit les neuf cent seize kilomètres qui séparent Fontjoncouse de Strasbourg, et en décembre 2019, il devient le Chef du restaurant Le Crocodile, et décroche très rapidement une étoile Michelin.

   

Son souhait est de respecter le passé prestigieux de l’établissement grâce à sa connaissance des secrets de la cuisine traditionnelle, tout en restant attentif aux influences du moment. Sa maîtrise parfaite des cuissons, ses sauces extraordinaires et son enthousiasme lui permettent de « faire une belle cuisine qui plaise aux gourmets, en puisant dans le terroir alsacien ». Avec une équipe de quatorze cuisiniers et pâtissiers (Pierre Raulet, 30 ans, prend le poste de chef pâtissier), Romain Brillat a pour seule ambition de faire du Crocodile la Table qu’elle a souvent été.

Passons à table !

Accueillie par le très souriant directeur de salle Amaury Barbado, je m’installe sous la verrière. Au Menu du Chef, un festival de cinq plats que j’attends de déguster avec une certaine fébrilité. La première surprise vient d’une petite brioche feuilletée à la fleur de sel réalisée in situ par les équipes du Chef pâtissier Pierre Raulet. Le pain quant à lui est servi dans une corbeille inspirée des nids des cigognes. On a le sens du détail ici ! La première entrée est un « Vitello Tonnato », proposition de thon et de veau, glace à la moutarde violette, chips de tête de veau et vinaigrette aux câpres et anchois. « La Fleur de Courgette » qui suit est un pur moment de bonheur : Comme par magie, le Chef a en effet fait entrée dans la fleur un gâteau de brochet. « Le Saint Pierre entre jardin et forêt » porte bien son nom avec sa garniture de fleurs de Capucine, ses haricots de Paimpol et ses myrtilles des Vosges. Le quatrième plat est un « Agneau estival » avec haricots verts et jus d’agneau à la sauge.

        

     


Les vins choisis par le sommelier Bertrand Dupont sont tout autant délicieux et mettent en valeur la richesse du terroir alsacien : Riesling 2017 Grand Cru Schlossberg du Domaine de Kirrenbourg ou Pinot Noir 2019 Clos des Capucins du Domaine Weinbach de la famille Taller. Enfin, pour le dessert, mes yeux sont amusés par une jolie sphère blanche « Vanille de Madagascar », glacée et crémeuse, cristalline sucrée, granité au sucre de Muscovado et huile d'olive vanillée. Encore émue par ce magnifique dîner, j’ai en mémoire les mots du Chef Brillat qui ne parle « que de faire plaisir à notre clientèle ». Pari hautement réussi.

    

 
Un crocodile comme emblème

L’histoire du Crocodile débute en 1801 : Le Capitaine Ackermann, soldat de Napoléon de retour de la Campagne d’Egypte, se porte acquéreur de la propriété. Il a dans ses valises un trésor rapporté du Nil, un crocodile empaillé, qui devient rapidement l’emblème du restaurant. Toujours exposé dans le restaurant, il se trouve maintenant dans une vitrine. Au cours des années suivantes, le restaurant est géré par différents propriétaires qui l’agrandissent et l’embellissent : Remarquons par exemple la célèbre fresque réalisée par François-Adolphe Grison en 1874 et illustrant une fête de village français. Monique et Emile Jung achètent Le Crocodile en 1971 et lui offrent deux étoiles au Michelin. En 2017, il rejoint le prestigieux club des Relais & Châteaux. Cédric Moulot en devient le propriétaire en 2015 et explique : « Après six mois de fermeture, et de très lourds travaux, maintenant, il faut poser la maison, avec une nouvelle équipe… On va repartir sur de nouvelles bases, mais progressivement, avec du temps. Et travailler différemment, mais toujours dans l’intérêt de la maison et pour faire plaisir, régaler, choyer nos clients ».

       

De juin 2019 à janvier 2020, l’ensemble du bâtiment est refait à neuf, pour un montant de plus de deux millions d’euros. René-Pierre Ortiz (AEA Architects) conduit les travaux qui concernent tous les espaces de restauration et les cuisines. Quant à la décoration, elle a été menée en partenariat avec Lalique. Dans la grande salle, est installée une magnifique verrière qui apporte lumière et élégance.


Vivre et savourer un moment d’exception

Pour un dîner en famille, en amoureux, entre amis ou pour un déjeuner d’affaires, au Crocodile, il y a toujours une proposition adaptée. La Table Emile Jung, en hommage au célèbre Chef, est un cocon qui peut accueillir jusqu’à six convives. Située au cœur des cuisines, elle est un lieu unique pour vibrer au rythme des chefs. Son décor rouge quant à lui rappelle le guide Michelin qui a tant célébré Le Crocodile. Le Salon Lalique sublimé par une exposition de la marque éponyme, peut être privatisé et accueillir jusqu’ à huit convives.

   

Dans le Salon Monique Jung, on dresse une table pour douze personnes en toute intimité. Enfin, les couleurs blanches et grises du Salon Europe confèrent au lieu une certaine solennité et sobriété parfaites pour célébrer un anniversaire, un mariage ou tout autre événement. Ou pourquoi pas une réunion en souvenir du Club Crocodile fondé le 9 juillet 1980 par neuf membres politiques lors d’une session parlementaire.

Au Crocodile, l’Histoire continue donc de s’écrire grâce au Chef Romain Brillat et à son équipe. On comprend que ce restaurant a été et reste une institution pour les strasbourgeois et pour tous les gourmets du monde entier.
www.au-crocodile.com
www.salpa.fr