Ce matin, j’ai rendez-vous dans un magnifique jardin, L'Orangerie, en plein cœur de Strasbourg, et dans un célèbre restaurant étoilé. On ne présente plus Le Buerehiesel (maisonnette des paysans, ndlr) qui, depuis les années 1970, célèbre la gastronomie française dans un décor de ferme alsacienne du XVIIème siècle. Eric Westermann est un homme passionné qui me parle de la cuisine à travers son histoire familiale et de son métier avec respect et sincérité. Propos recueillis par Hélène FELTIN




En 2021, vous fêtez vos 20 ans au Buerehiesel : Comment vous sentez-vous ?

Bien, et puis 20 ans, ça passe vite ! C’est mon Chef de cuisine Fabrice Thouret qui me l’a fait remarquer. Nous sommes quasiment arrivés ensemble au restaurant : Moi en janvier 2001 et lui en juin. On a bossé avec les parents (Antoine et Viviane Westermann, 3* Michelin, ndlr) en format 3 étoiles jusqu’au début 2007. Fabrice a cru en moi et il est resté à mes côtés. Je suis aussi fier du chemin parcouru, excité par ce qu’il reste à faire. En ce moment, il y a bien sûr de gros bémols, je suis dans l’expectative comme tout le monde et je me refuse à écouter la radio ou la TV. Mais, je reste convaincu que l’on a un boulevard devant nous. En 2007, nous nous sommes adaptés aux nouvelles attentes de la clientèle ; aujourd’hui et demain, elle est la seule qui compte, la seule à avoir toujours raison. Donc, je veux écouter le client et répondre à ses attentes. Dans le passé, de nombreux Chefs se sont un peu perdus en recherchant coûte que coûte la reconnaissance des guides ou des médailles, et en oubliant le client. Moi, c’est pour lui que je bosse.

 


Comment avez-vous vécu le confinement ?

Pendant le premier confinement, ce fut très difficile car nous étions fermés au public. Compliqué aussi : Nous n’avons reçu aucune aide, si ce n’est le chômage partiel, car Le Buerehiesel est une grosse machine. Pour le second confinement, nous avons anticipé les choses et on est rapidement devenu opérationnel avec notre site de ventes en ligne. Je n’ai pas proposé des plateaux repas comme mes confrères parce que je me suis dit : Les clients ne peuvent pas venir chez toi, il faut donc aller vers eux. Donc, je me suis mis à fabriquer une grande variété de plats cuisinés sous vide. Pour les fêtes de Noël, je n’ai pas proposé de menu de Noël, mais des plats et le client a confectionné son menu à sa guise. Aujourd’hui, nous avons arrêté car ce fut une énorme logistique et surtout, ce n’est pas mon métier de cuisiner devant un mur et de ne parler à personne. Enfin, le confinement a eu des aspects positifs car il m’a permis d’être en famille, auprès de mes deux enfants.

 


Est-ce que l’idée de devenir Chef était évidente ?

Dans la famille, tout a toujours tourné autour de la table. Pour mes parents, l’hospitalité, la célébration se font autour d’une table. Ce sont des moments de convivialité de partage. Nous, on vend un moment de plaisir à nos clients, et il n’y a pas beaucoup de métiers qui peuvent y prétendre. J’en ai aussi connu les contraintes en vivant au-dessus du restaurant : Il y a le bruit, la fumée des cigares, on n’est pas tout à fait chez soi. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui ne m’ont jamais poussé à faire ce métier, bien au contraire. J’étais rarement avec papa en cuisine, je pouvais donner un coup de main pour désosser les cuisses de grenouilles, mais c’était très rare. J’avais aussi un grand-père boulanger qui faisait des tartes magnifiques. Chez Mamie à Wissembourg, chez qui j’ai passé mes premières années, c’était l’odeur des poulets rôtis. Du côté de papa, mon grand-père était peintre en bâtiment, mais quel cuisinier ! Il faisait une macédoine de légumes taillés comme au CAP, des légumes cuits comme il faut, un coq farci, des bourguignons, … Mes plats préférés à Wissembourg étaient le poulet rôti et le quasi de veau rôti. Tous les produits étaient frais achetés autour de chez nous, comme le lait cru frais, les œufs, les volailles. Quelle vie !

   


Quel est votre parcours ?

J’ai eu un magnifique parcours et je n’ai aucun regret. Je n’ai pas fait d’apprentissage, même si j’y crois, mais cela m’a permis de vivre une adolescence épanouie, d'avoir des copains. J’ai passé un BTS à l’Ecole Hôtelière de Strasbourg entrecoupé de très beaux stages. Le premier m’a conduit à l’Hôtel du Palais à Biarritz aux côtés de Jean-Marie Gautier qui a été un transmetteur et un formateur extraordinaire. Ensuite, avec Christian Constant au Crillon, je suis entré dans une autre dimension mais pour le même combat. Ces 2 X 4 mois valent deux ans d’expérience. Chez Jacques Thorel à La Roche Bernard, j’ai appris le respect du produit de A à Z : Quand on décortiquait les araignées, elles étaient décortiquées. Tous les jours, je demande aux équipes d’éviter au maximum tout gaspillage ! Quand j’entends certains chefs me dire que, pour faire une bisque, ce sont des homards entiers qu’on jette, ça me tourne la tête !. L’argent ne justifie pas ce gaspillage. Pendant mon dernier stage chez Jacques Lameloise, j’ai appris à m’adapter dans une petite structure familiale hiérarchisée. J’arrive au Buerehiesel en 2001 : Maman et papa étaient venus me voir chez Lameloise et nous avions estimé tous les trois que cela pouvait être le moment de travailler avec eux. On ne savait pas comment on allait travailler, mais on avait décidé que je ne serai pas le second de papa. Puis, le hasard a bien fait les choses : Le chef de partie des entrées du garde-manger se fait mal, je prends sa place pendant 2 mois. Le poissonnier a un accident et deux mois plus tard, le rôtisseur part. Tout le monde m’observait bien sûr, mais tout s’est très bien passé !

 


Quelle histoire voulez-vous raconter au Buerehiesel ? 1* Michelin depuis 2008

Le Buerehiesel, c’était papa et maman, Antoine et Viviane. L’un sans l’autre, ça n’aurait pas marché. Maman était professeur d’histoire-géo jusqu’au moment où elle et mon père ont acheté le domaine en 1970. Elle est devenue la maitresse de maison et lui le Chef que l’on connait. En 2006, je suis allé avec papa chez Michelin pour leur présenter mon projet. Dans le guide 2007, il est écrit : « Le fils succède à son père, à lui de faire ses preuves », et les trois étoiles furent retirées. Pour moi, ce fut génial car j’allais pouvoir travailler à ma guise. Les clients locaux qui sont le nerf de la guerre (et la période actuelle nous le rappelle sans cesse) m’ont conforté dans ce choix. Ils étaient un peu effrayés par les trois étoiles, l’image et le budget. C’est encore à cette période que j’ai quitté le Lys d’or des Relais & Châteaux et Traditions et qualité. Cela m’a permis d’économiser vingt-cinq mille euros, une manne lorsqu’on s’installe et qu’on veut acheter un restaurant et une cave. 
La création du Menu Affaires à 35 euros a eu un très grand succès. Il change tous les jours et donc toutes les semaines ! Quand l’étoile est arrivée en 2008, j’étais un peu nerveux car les clients ont craint que j’augmente les prix, que je change le service, l’ambiance du restaurant. Je les ai rassurés et j’ai même baissé le prix du menu dégustation ! La clientèle est restée et elle est toujours là aujourd’hui.

   


Avez-vous des recettes phare ?

La cuisine d’Eric Westermann est très simple et elle se définit en trois mots :  Produit, sincérité et respect. Le plus dur dans la cuisine, c’est de trouver le produit, de le toucher le moins possible et de respecter les saisons. En ce moment, on arrive encore à avoir des petits pois du Kochersberg servi avec un turbot et des girolles et c’est délicieux. Il y a bien sûr trois plats que je ne change pas, ce sont les Recettes de Papa : Les cuisses de grenouille, la poulette fermière et la brioche caramélisée à la bière. Mais, je pense qu’une carte est faite pour tourner même si c’est compliqué lorsque les clients me réclament sans arrêt un l’effiloché de tourteau, quinoa et légumes croquants. Je travaille avec de nombreux fournisseurs locaux : Pour les poulets fermiers d’Alsace avec un éleveur au nord de Wasselonne ; pour les pigeons, je me fournis chez Théo Kieffer et le cochon grandit au-dessus de Lapoutroie nourri au petit lait, aux glands et à la liberté. Pour les desserts, la cerise est en vedette avec son sorbet à l’estragon. Et bientôt, nous allons travailler les abricots, la figue et la pêche, ou encore les quetsches et les mirabelles.

 


Parlez-moi de la Boulangerie Westermann au 1, rue des Orfèvres à Strasbourg ?

Je la gère avec mon frère Jean car nous avions envie de faire un truc ensemble. Et puis, rappelez-vous que notre grand-père était boulanger. Moi, je faisais déjà du pain au restaurant, formé par un MOF Joseph Dorffer. Mon frère avec ses Secrets de table en faisait chez lui. Et donc en 2012, nous avons créé cette boulangerie où l’on propose des pains, pâtisseries de boulanger, des tartes, …




Quelle est votre définition du luxe ?

C’est le temps. Le temps de faire ce qu’on a envie de faire avec ceux qu’on aime.

www.buerehiesel.fr