A l’occasion du cinquantenaire de la disparition de Jean Giono, Attitude Luxe vous invite en Haute Provence à la découverte de ce « pays de lumière » qui l’a tant inspiré. C’est aussi l’occasion de s’immerger dans son œuvre qui mêle humanisme et révolte contre le monde moderne, préfigurant une forme d’écologie. 

maison aux volets verts
Enraciné dans sa ville

« Manosque dans tes yeux bleus myosotis, j’ai vu couler, clair, le rubis des eaux vives de la Durance », écrivait Jean Giono, installé à sa table de travail au deuxième étage de sa maison Lou Paraïs, face au mont d’Or qu’il comparait à « un beau sein rond ». Bien qu’il détestât le mistral et la chaleur, Giono était profondément attaché à sa ville natale. Nos lectures de lycéen l’ont souvent classé parmi les chantres de la Provence. Une étiquette un peu réductrice.

Photo : M. Boutin Rocherd'Ongles


Les chemins de l’œuvre


Pour bien appréhender l’homme et ses écrits, rendez-vous à Manosque à l’hôtel Raffin, bâtisse provençale du XVIIIème siècle. Ce centre culturel et littéraire abrite une exposition permanente Jean Giono, qui donne les clés de son parcours de vie.

Dès la première salle, le ton est donné : un fer à repasser pour illustrer le métier de sa mère, un marteau pour celui de son père cordonnier, sa pipe, un sabre de carbonaro, clin d’œil au hussard Angelo, le papier jaune paille sur lequel courait sa plume à la manière d’un calligraphe… Comme un dialogue entre faits historiques, biographiques et littéraires à découvrir au fil des salles.

Photo : Expo les chemins de l'oeuvre-2019-03026


Né le 30 mars 1895 dans une famille modeste d’origine piémontaise, le petit Jean est abreuvé par son père d’histoires qui ensemencent son imaginaire. La lecture, Sophocle, Euripide, Homère, Virgile, plus tard Hugo et Stendhal, favorise un voyage immobile vers une infinité d’univers.

A 16 ans, après l’accident cardiaque de son père, il se fait embaucher comme coursier dans une banque, où il gravira les échelons jusqu’à la mobilisation d’août 1914.

Affecté en juin 1916 au 140ème régiment d’infanterie engagé à Verdun, il est confronté à des « images infernales ». Pour accentuer la noirceur de cette époque qui l’a terrifié, l’exposition présente cette séquence dans un couloir sombre et étroit comme une tranchée. Mais on y apprend qu’il a emporté avec lui son livre culte, La Chartreuse de Parme.

Il lui faudra plus de dix ans après son retour du front pour écrire Le Grand Troupeau. « Il n’y raconte pas la fureur des combats, mais veut faire voir la terre blessée par la guerre, alternant la mort des moutons (les hommes au front) et la douleur des brebis (les familles sur le plateau de Valensole) », ajoute Jacques Meny, Président des Amis de Jean Giono.
 
Photo : IGM Jean Giono d'aprés une photo
Entre imagination bouillonnante et pacifisme viscéral

Après la démobilisation, il reprend son emploi à la banque tout en écrivant ses premiers poèmes, et épouse Elise Morin, une jeune institutrice manosquine.

Le succès éclatant de son roman Colline en 1929, couronné par le prix Brentano, l’incite à vivre de sa plume. Avec ses droits d’auteur, il achète Lou Paraïs, un bastidon maintes fois agrandi, où il s’éteindra le 9 octobre 1970.

La publication de Un de Baumugnes, puis de Regain, confirment sa notoriété. Baptisée la trilogie de Pan, ces ouvrages en hommage à la nature le classent dans la catégorie écrivain régionaliste, romancier de la terre et du monde rural.  

Après la prise de pouvoir par Hitler en 1933, il clame son pacifisme dans la presse et devient un symbole de résistance dans les tracts pour la paix.

Son roman Que ma joie demeure et son essai Les Vraies Richesses, qui prône le combat contre la destructrice société industrielle moderne « bâtie sur l’argent », enthousiasment les jeunes. De 1935 à 1939, les esprits libres forment autour de lui un mouvement pacifiste qui se réunira deux fois par an au hameau du Contadour sur la montagne de Lure. Une période de « bonheurs partagés » éclairée ici par des textes et photos.

Mais le fracas de l’Histoire brise cette utopie. Malgré ses convictions, il se laisse mobiliser pour ne pas laisser sa famille sans ressources. Il sera emprisonné à Marseille pour pacifisme. A nouveau arrêté après la Libération, soupçonné à tort de collaboration, il sera interdit de publication quelques années par le comité d’écrivains d’extrême gauche.

Photo :T.VERGOZ-Parais
 
Le bel Angelo

Blessé mais plus combattif que jamais, Giono se lance dans un cycle autour d’Angelo Pardi, colonel des hussards du roi de Sardaigne. « Chaque soir après le dîner, mon père nous lisait les quatre-cinq pages rédigées dans la journée. C’est ainsi qu’adolescente je suis tombée amoureuse de ce héros romantique, jeune, beau, au noble cœur, galopant à travers la Provence ravagée par le choléra », raconte Sylvie Durbet-Giono, sa fille cadette née en 1934. Elle ajoute : « Ma mère, qui tapait les manuscrits, se plaignait du trop grand nombre de morts. Les gens haineux étaient décimés par la maladie; c’était sa façon de régler ses comptes de la Libération ».

L’exposition présente en plus, jusqu’au 31 octobre, un focus sur Le Hussard sur le Toit, avec notamment l’itinéraire d’Angelo dessiné par Giono et le storyboard du film réalisé par Jean-Paul Rappeneau en 1995.

Photo : IMG-storyboad Le hussard



La tentation du cinéma


Une autre salle est consacrée à sa passion pour le 7eme art. « Mon père nous emmenait au cinéma tous les dimanches. Il aimait Zorro, Fantomas, les Marx Brothers, Hitchcock, l’humour de Chaplin et les westerns de John Ford », continue Sylvie.

Dès 1933, Marcel Pagnol, jeune cinéaste aubagnais en vogue, adapte sur grand écran trois romans de Giono : Un de Baumugnes (le film Angèle), Jean Le Bleu (La Femme du Boulanger) et Regain. Mais face à ce troisième long métrage, l’écrivain s’offusque : « Pagnol en a tiré un film essoufflé, boursoufflé, adipeux ». Les pagnolades lui déplaisent ; il ira même jusqu’au procès.

Le film L’eau Vive, qu’il juge « sans lyrisme, ni souffle épique » (il a écrit le scénario sur commande pour la construction du barrage de Serre Ponçon), l’échec de Crésus et d’Un roi sans divertissement dont il est le producteur, mettent un terme à ses ambitions cinématographiques.

Photo : Ph. Leroux Montagne de Lure 
 


Lou Paraïs, son port d’attache durant 40 ans


A l’écart des petites rues manosquines, Lou Paraïs, que Sylvie s’est attachée à faire vivre jusqu’à son rachat en 2016 par la ville de Manosque, permet de se glisser dans l’intimité familiale : ici la machine à écrire d’Elise, là le gramophone sur lequel il écoutait les concertos Brandebourgeois, ou encore la cuisine toute simple qui garde encore le souvenir des effluves de daube.

Un escalier jalonné de toiles de peintres amis, dont Lucien Jacques, Bernard Buffet, Yves Brayer, conduit à son antre du deuxième étage : la table de repasseuse de sa mère qu’il avait transformée en bureau, sa collection de pipes, des dizaines de porte-plume en bois et nonchalamment posé sur son fauteuil son châle qui laisse croire qu’il vient de s’absenter.

Témoignage de la curiosité insatiable de cet autodidacte surdoué, boulimique de lecture, une impressionnante bibliothèque de 8500 ouvrages essaimés à travers plusieurs pièces. Il y a aussi une inattendue collection de cartes de géographie qu’il annotait avant de s’inspirer des toponymes pour composer la carte imaginaire de ses romans. En trempant son porte-plume dans l’encre violette des lavandes, Giono s’est amusé à déplacer les collines et à brouiller les pistes. Il revendiquait le droit d’inventer sa Provence, largement influencée par la mythologie gréco-latine, pour y faire évoluer des personnages intemporels.

Photo : IMG-machine à écrire d'Elise


Des romans traduits à travers le monde

Romans, essais, poèmes, chroniques journalistiques, pièces de théâtre, scénarii, Giono laisse une œuvre qui compte plus de 90 titres, présentée dans la dernière salle de l’exposition. Il est l’un des auteurs les plus traduits au monde : 42 langues, dont 30 pour L’homme qui plantait des arbres, un écologiste pur et sans connotation politique.

Photo : T.VERGOZ-Parais

Randonnées littéraires


Infatigable marcheur, Giono trouvait, dans sa Haute Provence burinée par le vent, une beauté sauvage qui l’apaisait. Arnaud Poupounot, accompagnateur en montagne, y propose des randonnées de difficultés et de durées variées, ponctuées d’arrêts dédiés à la lecture d’extraits d’œuvres et de commentaires sur la vie de l’auteur. Un vrai régal !

Ici, on se faufile sur un sentier aux senteurs d’hysope, où Giono a probablement usé ses semelles. Là, on contemple la montagne de Lure. « J’avais 7 ans quand, pour la première fois, j’entendis parler de cette montagne (…), je me répétais à haute voix : Lure ! J’écoutais le son du mot, j’écoutais le mot tinter sur l’écho du mur, et, aussitôt, la tête pleine d’herbages… », raconte Giono dans la présentation de Pan.

Photo : IMG-itinéraire d'Angelo de la main de-Giono


L’Olympe de sa Provence


Autre option, suivre en voiture la route Jean Giono, élaboré par Jean-Louis Carribou, qui a décrypté ce « Haut Pays » après sa rencontre en 1965 avec l’écrivain. L’itinéraire de 152 kilomètres sinue de pittoresques villages perchés en vieilles bergeries de pierre sèche. Jalonné de vingt haltes littéraires, le circuit ceinture Lure, la mythique échine qui culmine à 1826m, « la montagne libre et neuve qui vient à peine d’émerger du déluge », l’Olympe de sa Provence où l’on s’attend à croiser dans sa fuite, tel « un épi d’or sur un cheval noir », Angelo Le Hussard.

Photo : Ph. Leroux Montagne de Lure

Carnet de route


www.alpes-haute-provence.com

www.durance-luberon-verdon.com

www.centrejeangionno.com  Centre Culturel Jean Giono, 3 boulevard Elémir Bourges, Manosque. Visite libre du mardi au samedi. Tel. 04.92.70.54.54

Maison Lou Paraïs : Montée des Vraies Richesses, Manosque. Visite guidée sur réservation auprès du Centre Jean Giono.

www.artisansdelarandonnee.com   Arnaud Poupounot, accompagnateur en montagne. Banon. Tel. 06 83 28 73 54

Visuel : le bureau de Giono



Restaurants


Auberge de l’Abbaye. A proximité de la montagne de Lure, une cuisine provençale familiale de saison sur le thème « retour du marché ».

Le Village, 04230 Cruis.
Tél. 04 92 76 59 88.

Il Gusto. Dans le vieux Manosque, une table gourmande avec des produits toscans et napolitains, mitonnés devant vous derrière la grande baie vitrée.

8 place de l’hôtel de ville, Manosque
Tél. 04 92 77 54 14.

 
Guide : La Route Jean Giono de Jean-Louis Carribou, disponible au Centre JG.


Photographie de gauche :  la cuisine de la maison de giono au Paraïs



Photo T.VERGOZ Parais