Francéclat, est le Comité professionnel de développement économique au service des secteurs de l’horlogerie, de la bijouterie, de la joaillerie, de l’orfèvrerie et des arts de la table. Nous vous proposons une interview de Hervé Buffet qui en est son Délégué Général depuis près de deux ans et demi. L’occasion de faire le bilan des actions entreprises et celles à venir, mais aussi de mieux cerner ces secteurs liés aux traditions et aux savoir-faire tout en étant toujours en quête d’innovation.



AL - Quand vous avez pris les rênes de Francéclat, quelles actions vous semblaient les plus prioritaires à mettre en place ?
HB - Travaillant pour Francéclat depuis plusieurs années, lorsque j'ai pris la fonction de Délégué général, en octobre 2016, je connaissais déjà bien l'environnement. Au départ, nous avons beaucoup travaillé sur le Contrat de Performances 2016/2019. Ce document, co-signé par l'État, est une sorte de feuille de route stratégique, écrite, validée et actée par le conseil d'administration. Aussi, en premier lieu, me suis-je attelé à le mettre en œuvre. Ce contrat repose sur un noyau d'actions pérennes, comme le suivi du marché français. En complément, nous avons défini un bouquet d'actions nouvelles pour faire évoluer les pratiques et les axes de travail de Francéclat. Ma volonté est d'ouvrir les portes et les fenêtres de la structure. 

Sur la forme, je souhaite que les entreprises, qui payent la taxe et pour lesquelles nous travaillons, aient une meilleure vision de ce que nous faisons. Je constate que lorsque nous prenons le temps de leur expliquer nos actions, cela génère compréhension et intérêt, tout en renforçant la cohésion de la filière. Les opérations réalisées en lien avec des actions collectives apportent le meilleur relais et renforcent ainsi notre engagement au nom de la stratégie collective. Cette réflexion nous a conduit à initier les "Portes ouvertes" à Besançon. Nous avons aussi unifié notre communication afin d'aller vers un plus grand partage. Ainsi, le nom du Cetehor a-t-il été abandonné pour celui de Francéclat afin de communiquer sous une seule appellation. Nous sommes toujours en recherche de la meilleure interface possible entre la taxe, que les entreprises payent, et les actions collectives associées à ce financement, qui constitue la mission de service public de Francéclat. 

AL - Quels objectifs vous êtes-vous fixés ?
HB - Face à la critique montante autour des actions de Francéclat qui peinaient à se renouveler, ma priorité était d'apporter une réponse basée sur l'ouverture et l'échange ; sur une nouvelle façon de travailler qui se traduit par la gouvernance que, depuis, nous avons mise en place avec pour objectif de construire une relation plus dense avec les entreprises, dans les deux sens. Nous voulons être mieux à l'écoute de leurs besoins et répondre à leurs attentes, avec la création d’un mécanisme de mesure de la performance de nos actions. Il s’agit maintenant d’un chapitre bien spécifique dans nos opérations, se traduisant par une étude confiée à un cabinet indépendant qui mesure l'impact des actions de Francéclat sur l'écosystème. Peu à peu, ces facteurs se mettent en place pour refonder la structure et la faire vivre au sein d'une forme de "démocratie professionnelle", avec des résultats concrets afin d'aider dans leur développement les entreprises françaises des filières concernées. 

AL - Cette évaluation est-elle une action menée par tous les comités ?
HB - Non, il s'agit d'une initiative que j'ai prise et qui a été votée par le conseil d'administration en juin 2017. Nous avons passé en revue un grand nombre de nos chapitres d'actions pour lesquelles nous n'avions pas d'instrument de mesure, aussi avons-nous développé des éléments méthodologiques pour pouvoir installer une régularité dans le temps et des éléments de référence. 

Dans le même état d'esprit, nous travaillons sur la mise en place d'un Extranet, c'est à dire un portail pour les entreprises qui font partie de l'écosystème de Francéclat. Nous voulons donner plus de sens à ce que nous faisons afin de le partager et le faire évoluer en fonction des attentes des entreprises. Néanmoins, nous avons toujours besoin d'une projection sur le moyen/long terme afin de déployer une vision stratégique. Mais, également, du temps nécessaire pour la mise en place des actions qui en découlent, tout en nourrissant les attentes sur le court terme, notamment pour ce qui est de l'animation du marché. Il est nécessaire de croiser ces deux dimensions. 

AL - Quelle vision d’avenir avez-vous pour le Comité ? 
HB - C'est un vaste sujet, pour lequel je vois deux sources d'évolution. Celle liée aux services que nous rendons aux entreprises, en lien avec leur représentation, via les organisations professionnelles, dans une relation directe et celle qui est la résultante de notre relation avec l'État, de par notre mode de financement et de notre forme juridique, qui peut parfois perturber le temps des professionnels. Le modèle Francéclat est, bien sûr, évolutif. Étant donné mon expérience, j'ai vécu toutes les périodes de transformation, dont l'ouverture à la bijouterie-joaillerie, puis à la bijouterie fantaisie, et enfin aux arts de la table ; l'intégration du centre technique, le Cetehor, par le Comité professionnel. En fait, Francéclat a beaucoup évolué ces dernières années, même si cela n'est pas toujours perceptible. Nous devons nous rendre plus visible, en dépit des critiques que cela peut générer. Ces mises en cause sont intéressantes car elles participent à faire évoluer le système différemment et de façon positive. Il y a certes une plus grande prise de risques mais nous devons l'assumer en tant que telle. 

©Francéclat - Masses budgétaires par type d'actions

AL - Ressentez-vous ce que l’on appelle parfois « le temps des organisations professionnelles », c’est à dire un délai plus long qu’en entreprise pour la mise en place des actions ?

HB - Il est clair qu'il y a des éléments de politique professionnelle mais aussi de politique tout court, avec des interactions en lien avec la sphère gouvernementale. D'un autre côté, le temps des entreprises n'est pas toujours très rapide. Sans doute l'est-il plus dans de petites structures mais, dès qu'il s'agit de structures plus importantes, les contraintes liées au nombre d'acteurs à faire avancer ensemble se retrouvent. Personnellement, je n'ai pas la sensation de vivre un temps tranquille mais plutôt une sorte de bouillonnement permanent ! Le temps est surtout lié à celui nécessaire à l'analyse du sujet, à mise en place de la solution et à son partage. 

AL - Cela est peut-être aussi lié à la pluralité des ressortissants ?
HB - Ce facteur joue certainement un rôle mais c'est surtout un formidable avantage. Car travailler en même temps au service de grosses sociétés, de PME, de TPE, de fabricants, d'artisans et de détaillants participe à la richesse de la mission. Nous sommes aussi en présence de plusieurs filières : horlogerie, bijouterie-joaillerie, et arts de la table, ce qui apporte une grande richesse. Des expérimentations faites pour un secteur pourront être étudiées par d'autres et éventuellement adaptées. Francéclat est un opérateur qui met en œuvre, parfois avec des prestataires, toutes les actions, ce qui lui donne une dimension opérationnelle amenant à devoir délivrer des résultats concrets avec des temps donnés à respecter. Cela participe à un rythme très actif, bien loin du "temps des organisations professionnelles" que vous avez évoqué il y a quelques instants. 

AL - Vous êtes à la tête du Comité depuis deux ans et demi maintenant, quel bilan faites-vous depuis votre arrivée au poste de Délégué Général ?

HB - La volonté d'ouverture que j'ai manifestée à ma prise de fonction commence à porter ses fruits. Nous avons mis en place de nouveaux outils, comme le collège numérique, offrant plus de partage, d'acquisition d'expériences, de rencontres, d'échanges et de découvertes. Nous avons développé des After-Work thématiques, comme celui sur le e-commerce chinois. Nous travaillons d'ailleurs pour un prochain rendez-vous sur les moyens de paiement pour les touristes chinois. Nous développons aussi la web-TV de Francéclat, afin, entre autres, de retransmettre tous les événements que nous organisons, pour une visibilité sur tout le territoire et à n'importe quel moment. Nous allons initier des réunions en province, car nous devons aller au-devant des professionnels…ce qui nous permet de rendre compte de nos actions, de rencontrer les acteurs de la profession, de partager, et aussi de recueillir les avis ou remarques ; c'est aussi l'occasion de faire bouger les lignes. Aller sur le terrain, visiter une entreprise ou un détaillant est un facteur de meilleure compréhension du secteur. Par exemple, nous avons fait une opération-test en allant à Saumur en janvier dernier. Ce fut l'occasion de présenter le cahier de tendances, la méthode et les outils d'appropriation, ainsi que nos travaux en fabrication métal précieux. Nous allons prévoir d'autres rendez-vous de ce type afin de pouvoir rencontrer un panel représentatif de nos ressortissants. Notre objectif est d'avoir une plus grande ouverture et de mieux mesurer ce que nous faisons. Je suis convaincu que l'approche des sujets par le collectif a un bel avenir. 

       


           

AL - Qu’en est-il du plan d'actions ?
HB - Notre feuille de route stratégique, préalablement définie, arrive à échéance fin 2019. L'objectif de cette année est aussi de nous projeter dans l'avenir, dans le cadre de la nouvelle gouvernance et du comité stratégique qui en est issu, car le décret qui en définit les règles est enfin sorti le 6 décembre 2018. Il a réduit le nombre des administrateurs de façon drastique en passant de vingt-huit à seize personnes, dont deux personnes qualifiées, nommées par le ministre de l'industrie. Les sept chambres syndicales représentatives ont proposé des candidats parmi lesquels le ministère a sélectionné les membres du conseil d'administration. 

AL - À vos yeux, que doit incarner Francéclat ?
HB - De mon point de vue, Francéclat doit être un creuset, un catalyseur des besoins collectifs et doit apporter les réponses adéquates. 

AL - Que répondez-vous à ceux qui, parfois, reprochent au Comité son immobilisme ?
HB - Il est vrai que c'est un reproche qui nous a souvent été fait, mais nous mettons en place une stratégie pour modifier cette perception, avec un socle d'actions pérennes et d'actions nouvelles, tout en développant une vraie capacité à être opérationnel. Nous devons mieux communiquer sur nos travaux, ce qui, de surcroît, nous permettra d'avoir plus de remontées du terrain pour encore nous améliorer.
 
AL - De quelle manière avez-vous structuré l’équipe qui travaille avec vous ?
HB - L'équipe en place, dont je suis issu, est très motivée, dévouée à la cause et à la mission de service public de Francéclat. Cette équipe a la capacité de se mobiliser avec une réelle expertise au service de l'action collective. 

J'ai voulu impulser encore plus de dynamisme collectif, avec du travail de groupe et de meilleurs échanges. Une partie de cette équipe, très aguerrie, va partir au fil du temps à la retraite, ce qui est l'occasion de la mixer avec de nouveaux profils. Ce mélange entre salariés, habitués au collectif et à ses contraintes, et personnes qui arrivent avec un regard neuf est extrêmement intéressant. 

Nous avons aussi créé une direction digitale mi-2017 avec, en particulier, la mise en place du Prix de la Stratégie Numérique de Francéclat, pour récompenser la meilleure utilisation des outils digitaux dans toutes les catégories d'activités, du fabricant au distributeur. D'ailleurs, cela ne concerne pas seulement les réseaux sociaux, les activités du numérique sont tentaculaires et constituent un vrai facteur d'évolution de toutes les dimensions d'une entreprise. De plus, une nouvelle Directrice à l'international vient d'être nommée. 

 AL - Comment qualifieriez-vous vos relations avec « l’Etat » ?
HB – Régulièrement, nous sommes interrogés sur notre mission de Comité de Développement Economique, ce qui est très chronophage. Nonobstant, les rapports qui en émanent sont finalement positifs, mais il est vrai que cette répétition a installé une forme de tension perpétuelle et de vigilance qui pourrait parfois nous détourner de notre mission. 


AL - Vous travaillez de fait pour et avec les organisations professionnelles du secteur de l’horlogerie, bijouterie, joaillerie, orfèvrerie et arts de la table ; d’après-vous, qu’elles sont leurs attentes ?

HB - Plus exactement, nous travaillons pour les entreprises de ces secteurs et leur développement, en association avec les organisations professionnelles. 

Nous constatons que, pour la filière bijouterie, la « Place Vendôme » tire tout le tissu industriel en France. En production, les chiffres sont très positifs : +8 % en 2017 et +12 % en 2018, et une balance commerciale qui est devenue excédentaire. Il faut consolider ces bons résultats. Avec l'UFBJOP et Bpifrance, nous nous attelons à structurer les ateliers de joaillerie, nous les aidons à grandir et à mieux répondre encore aux attentes de leur clients. Sur le marché français du détail, les besoins s'expriment par rapport à sa restructuration vis à vis du e-commerce, tant avec les « pure players », comme Amazon, que des e-shop issus de magasins traditionnels. Il y a une vraie interrogation sur la manière dont le marché va finir par se restructurer. Et n'oublions pas qu'en bijouterie l'essentiel du marché est vendu sans marque, ce qui complique son animation car il est plus difficile de susciter l'appétence des consommatrices. La question est de savoir comment va-t-on passer d'un modèle, pratiquement séculaire, à quelque chose de différent, demandant des compétences différentes, de nouvelles organisations, un temps de réactivité et une autre logistique ? Nous ne pouvons mettre en place une aide individuelle, puisque notre fer de lance est uniquement le collectif, mais nous devons proposer des outils adaptés, avec par exemple des tutoriels, une aide pour démystifier le numérique, des voies d'accompagnement, comme des rencontres et des comparaisons avec d'autres secteurs. Individuellement il est certain que chacun doit se poser la question de son modèle, de son emplacement, de sa zone de chalandise, de son orientation et de son positionnement pour se projeter dans le futur. Il appartient aux professionnels de réfléchir ensemble et de donner l'impulsion.

AL - Un message à leur faire passer ?
HB - Nous avons développé, avec Didier Roux, une approche entièrement dédiée aux filières, en associant l'amont et l'aval avec le développement d'actions fortes ; nous souhaitons que les organisations professionnelles partagent pleinement cette approche filière. 
AL - Quelle est votre vision du commerce de demain ?
HB - D'un point de vue très personnel, j'observe que l'emploi des outils numériques génère une certaine facilité avec, en particulier, le e-commerce mais aussi les achats sur WeChat, Instagram et le social-selling. On assiste à une « e-dissémination » de l'acte de vente, avec la mise en place d'un savant mélange entre numérique et magasins physiques, mais certainement avec un magasin différent. 

Des concepts émergent à travers des flagship qui sont l'occasion de tester de nouvelles solutions. Tout le monde est en phase d'interrogation et il n'y a pas de solution unique. Néanmoins, si les biens standards trouvent leur place au travers de l'offre numérique, la recherche d'émotions passe avant tout par la boutique, car il s'agit aussi, à chaque fois, d'une rencontre et de relations de confiance. Sur ce dernier point, le commerce traditionnel a toute sa place avec, sans doute, la mise en avant de services liés à l'expertise et la réponse à des besoins personnalisés, éléments différenciants par rapport au e-commerce. Il existe une complémentarité entre les deux et certainement un avenir pour le commerce physique mais réinventé. Les éléments qui configurent un lien de proximité et de confiance sont aussi une source d'avenir pour les magasins ; à mon sens l'un de ses atouts primordiaux. 

AL - Quels sont vos objectifs pour les deux ans à venir ?
HB - Tout d'abord mettre en place la nouvelle feuille de route stratégique, délivrer le travail opérationnel en espérant qu'il donne des fruits afin que l'on puisse aller plus fort, plus loin. Par ailleurs, tout ce qui, aujourd'hui, participe à la Civictech, nous intéresse afin de savoir comment mener un débat à grand échelle et d’utiliser des outils de ce type en vue d’ouvrir la discussion, d’échanger, de construire ensemble le plus largement possible. 

AL - Et pour mieux vous connaître, quels seraient vos invités de prédilection pour un dîner imaginaire ?
HB - Je ne suis pas très adepte de grands dîners mais j'aurais été très heureux de pouvoir retrouver l'écrivain Julien Gracq -souvenons-nous qu'il est décédé il y a une dizaine d'années...- et le chanteur Nick Cave dont j'apprécie la musique. Imaginer la rencontre de ces deux personnages, assez éloignés l'un de l'autre, me plaît beaucoup !

AL - Quel est votre objet préféré ? Pourquoi ?
HB - Le stylo-plume à pompe qui est un bel objet, précis, ouvragé, avec un travail sur la plume. Il offre également un côté ludique avec le jeu des encres et des couleurs. De plus, il est en phase avec la notion de développement durable grâce à la pompe, qui permet de ne pas utiliser de plastique. C'est aussi un outil qui permet de transcrire sa pensée par écrit, de la structurer. J’aime bien ce double symbole. 

AL - Une trilogie de couleur ?
HB - Bleu, Blanc, Rouge, qui correspond à la mission de Francéclat mais, il est vrai également, que j'apprécie à titre personnel ces couleurs. Je voue aussi une certaine admiration au parcours de la France et à ce que j'imagine être son devenir. C'est une sorte d'ancrage, de fierté, de revendication. 

AL - Vous êtes plutôt « marche sur des chemins de montagne » ou « régate en mer » ?       
HB - En termes de symbole, je préfère la régate en mer car il y a un côté compétition ludique même si je ne suis pas toujours très à l'aise sur un bateau !

AL - Et enfin, que souhaitez-vous en priorité transmettre à votre fille ?
HB - En premier, j'ai souhaité lui transmettre le sens de l'intégrité, un respect de soi-même, mais aussi une curiosité et une ouverture au monde. Je suis très confiant, elle étudie le Design à Londres ! 

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