Niché entre les sauvages forêts aveyronnaises, le village de Conques se cache des regards. Quiconque s’y aventure est un averti : passionné d’art médiéval, pèlerin et surtout admirateur de Pierre Soulages. Car il est une abbatiale au coeur de ce charmant patelin dont les vitraux sont signés de l’enfant du pays ruthénois. Un hommage que l’artiste rend à la beauté des vieilles pierres de Sainte-Foy, celles dont toute son oeuvre dépendra… 

 
Pierre Soulages a douze ans lorsqu’il fait sa première visite à l’abbaye Sainte-Foy. C’est un passage obligatoire pour tout ruthénois qui se respecte, dans le pays on a l’amour des vieilles pierres, on admire les sculptures romanes et tout particulièrement celles de Conques. Au portail occidental de l’abbatiale en effet, une discrète voussure abrite l’une des oeuvres majeures de la sculpture romane de la première moitié du XIIème siècle. C’est ce tympan du jugement dernier que Soulages admire du haut de sa petite taille, avant d’entrer dans le silencieux bâtiment, pour y vivre une incroyable émotion : sa révélation artistique. En faisant ses premiers pas dans l’église, le jeune garçon - qui deviendra plus tard un des artistes les plus reconnus de son vivant - est frappé par la verticalité de l’édifice, plongé dans une pénombre accueillante, les murs percés d’ouvertures irrégulières, composés d’une pierre aux nuances de gris et de rose. Soulages est dans un tel état d’exaltation qu’il se dit que désormais, il n’y aura qu’une seule chose d’importante dans sa vie : l’art. Il aime la peinture, il sera donc peintre, c’est décidé.

On ne se rend pas compte à quel point tout ce que je fais est lié à mes travaux de Conques. C’est même-là, je peux le dire, que tout jeune j’ai décidé que l’art serait la chose la plus importante de ma vie.” Pierre Soulages

En 1942, le jeune peintre assiste au changement des vitraux de l’église de pèlerinage contre des verres extrêmement colorés. Un remaniement qui le révolte : les nouveaux verres projettent sur la délicatesse des pierres romanes des couleurs agressives qui au lieu de les éclairer, les assombrissent et annihilent l’atmosphère divine des lieux. Quarante cinq ans plus tard, l’artiste désormais confirmé, se lance corps et âme dans la confection de nouveaux vitraux pour l’église dont il chérit tant les formes et l’histoire. Conques sera la commande publique la plus importante de toute sa carrière, un projet qui lui prendra sept années, à la recherche de cette lumière mystique qu’il rencontrait plus jeune, et plus encore…


“Je me suis lancé dans ce projet-là avec l’idée que je ne ferais pas de la peinture par transparence. (...) Je devais travailler la lumière, une lumière qui éclaire cette architecture sublime.”  Pierre Soulages

Et pour produire cette lumière si particulière, Soulages va inventer un nouveau genre de verre en fusion. Incolore ce verre particulier se mue presqu’en une pierre, ne se mélangeant pas à la lumière. Pour concevoir ce nouveau processus, le peintre travaille pendant des années avec le verrier Jean-Dominique Fleury. Ensemble, ils créent un verre unique qui dans son degré d’opacité comporte une forte ondulation de lumière. C’est ainsi que pour couvrir les 104 ouvertures de Sainte-Foy (95 fenêtres et 9 meurtrières), Soulages pose ses vitraux à même la pierre : une succession de plaques de verres rythmées par des diagonales de plomb et des barlotières horizontales en nombre impair. Car ici, rien n' invoque la régularité : ni les nuances de lumière sur les verres, ni le nombre de barlotière, ni la taille et la hauteur des ouvertures. Pour Soulages, pas de dessin, ni de couleurs, hormis celles des pierres de l’église, ses nuances de grès rose, de calcaire jaune et de schistes bleutées. Et, c’est tout en sobriété que la verticalité de l’architecture répond à l’oblique de la lumière.


“Je souhaitais que ces vitraux soient émetteurs de clarté mais pas de manière uniforme, avec des variations, pour exprimer la vie.” Pierre Soulages



À Conques, Soulages a créé sa plus grande oeuvre. Dans les lignes coupées de ses verres, l’on reconnaît la profondeur de ses polyptyques d’outrenoir de 1986. C’est un mariage naturel que s’unissent la pierre du XIIème siècle, le verre et le plomb du XXème siècle. Les ouvertures vibrent d’elles-même tout en épousant les lignes de l’architecture, soulignant leur sobriété, se mélangeant à la pénombre de la nef, prolongeant la hauteur des vaisseaux, accueillant à bras ouverts les pèlerins en quête de recueillement. Chaque pièce porte en elle son hétérogénéité, une identité singulière que l’on retrouve même à l’extérieur de l’édifice puisque Soulages y a pensé les premiers vitraux à deux faces. Ici, les parois de Sainte-Foy retrouvent leur nature minérale pour effectuer un passage de la nuit au jour et du jour à la nuit… absolument magique.

Aurélie M.Caillard 




Informations pratiques :

Abbatiale Sainte-Foy de Conques
Place de l’abbaye
12320 Conques

Visuels ©Aurélie M.Caillard