En balade dans les rues de Paris ? Vous remarquerez que les pavés et façades de la capitale sont un des endroits de prédilection de  street artists et graffeurs en tout genre. Stations de métro, trottoirs, quais de Seine, rideaux de fer… l’on croise bien souvent des traits dessinés à la craie. Ces nuées d’arabesques sont l’oeuvre de Jordane Saget, artiste crayeur. Vous-voulez voir son oeuvre ? Ouvrez bien l’oeil, elle pourrait se trouver à chaque coin de rue.



©Studio Jordane Sarget

Les critiques le qualifient de street artist, mais Jordane Sarget lui ne sait pas si on peut l’étiquetter ainsi. Il travaille dans et sur la rue certes, mais sur son site Internet il est écrit : “artiste crayeur”. Voilà un titre qui pousse à l’intrigue. Pourtant, rien de complexe dans le travail du jeune artiste contemporain : une matrice de trois traits de craie blanche, un support urbain, pas besoin de plus pour construire de surprenantes fresques qui se muent aux murs, aux pavés, aux objets présents dans la rue. N’en déplaise à Walter Benjamin (auteur de L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, 1936), son oeuvre est éphémère. Nul besoin de châssis, de toiles et de cimaises lorsqu’une des plus belle villes au monde se déroule sous nos pieds.


Voici un jeune artiste qui ne perçoit pas son oeuvre en tant que telle. Entre ses lignes se lit une modestie honorable et une expression obsessionnelle, purement esthétique. Saget ne revendique aucune formation artistique. Plus jeune, il ressent une envie particulière de dessiner mais son manque de technique classique le pousse vers une pratique quasi-mathématique, à l’image des lignes de Vasarely ou de François Morellet. Il doit trouver sa matrice, son unité de valeur, son mur porteur. Et puis, en dessinant deux traits sur une feuille blanche, la troisième tombe comme une évidence : voici venue la base concrète dont sa main avait besoin pour totalement se libérer. Après quelques tentatives à l’encre ou au crayon, sur feuille ou sur toile, son trait a besoin de se libérer. Et quoi de mieux que les pavés pour libérer son esprit ? Le jeune artiste apprend à vagabonder dans les quartiers de la capitale, à repérer des ponts, des recoins, des trottoirs pour se les approprier. Debout sur ses deux pieds, recroquevillé sur ses genoux ou étendu de tout son corps, Jordane Saget applique la matrice de ces traits comme des demi-spirales, des arabesques si précises qu’elles paraîtraient millimétrées. Pourtant, aucun dessin n’est envisagé à l’avance, le trait s’accorde à son support, prend en compte les objets qui l’entourent, la surface de l’architecture environnante, le passage des parisiens pressés et des touristes badeaux.

©Studio Jordane Saget

“Je me suis raconté des millions d’histoires avec mes lignes. C’est pareil pour les gens qui voient mes oeuvres. Ils peuvent se raconter ce qu’ils veulent.” Jordane Saget

Vitraux d’églises, chutes de dentelle, mer blanche, partition de musique… Sous l’oeuvre de Jordane Saget pas de cartel, ni de titre ou de direction d’interprétation. Les traits se meuvent dans un tango de poussière blanche sur le bitume, libre à chacun de laisser son imagination faire le travail. Dans cet enchevêtrement de formes semi-concentriques, un panneau de signalisation, une façade, une tuile, un couloir prend un tout autre sens et pour les passants qui le remarquent c’est une réinterprétation du quotidien à forte portée poétique.


“J’aime ce que représente la craie : sa matière par exemple c’est presque sensoriel, quand une craie va pour s’écraser sur le support il y a comme une résistance au mouvement, quelque chose de friable. Il y a aussi un rapport paradoxal au temps avec la craie, sur les murs de la ville on sait qu’elle ne tiendra pas alors qu’on a trouvé la trace de dessins à la craie datant de milliers d’années
.”
Jordane Saget

Depuis deux ans, l’artiste crayeur arpente les rues au gré de son humeur. Car son oeuvre, comme pour beaucoup de créateurs, devient rapidement une vocation obsessionnelle permettant de focaliser son esprit et ses idées. Au-delà des sols et des murs, il envahit également certains objets : une tête de lit abandonnée dans la rue, une chaise, une cheminée d’argile sur les toits, un parapluie… Sa main s’associe à celle d’autres créateurs comme Nadège Dauvergne, qui intègre des personnages de tableaux anciens dans la ville, ou encore le célèbre créateur-dessinateur Jean-Charles de Castelbajac. Il lui est même arrivé de travailler avec des inconnus dans la rue, en invitant des passants à participer à la grande fresque qu’il effectua au lendemain du triste 13 novembre, boulevard Richard Lenoir à Paris. Voilà qui résume le dessein de cet artiste contemporain : une rigueur de marbre et une spontanéité légère, au service de la beauté de l’éphémère. À la recherche de l’oeuvre de Jordane Saget dans les rues de Lutèce, regardez bien où vous mettez les pieds et levez le nez ..!



Aurélie M.Caillard


Jordane Saget, artiste crayeur.
http://www.jordanesaget.com/
Studio Jordane Saget
https://www.instagram.com/jordanesaget/

33, boulevard de La Chapelle
75010 Paris
Visite sur rendez-vous

©Studio Jordane Saget