Peintre juive berlinoise morte à vingt six ans alors qu’elle était enceinte, sous le joug de la solution finale nazi, Charlotte Salomon porte en elle la tragédie d’une vie. David Foenkinos, obsédé par son histoire en retrace une version romanesque troublante de vérité. Charlotte est le récit d’une quête troublante, entre vie et théâtre.

Qui connaît Charlotte Salomon ? David Foenkinos lui, l’a rencontrée en 2006, lorsqu’une amie travaillant au musée de l’histoire du judaïsme de Paris lui conseille l’exposition “Charlotte Salomon, vie ou théâtre ?”. Depuis ce jour, l’auteur de La délicatesse (Editions Gallimard, 2009), est hanté par la vie de cette jeune artiste peintre. En 2014, il écrit "Charlotte", ce roman éponyme qui retrace son enfance, le développement de son oeuvre, et sa chute.


Charlotte a appris à lire son prénom sur une tombe.

C’est ainsi que s’ouvre le récit qui a ému près de 30 000 lecteurs, et l’on comprend pourquoi. Salué par la critique, le livre édité par Gallimard en 2014 remporte les distinctions du Renaudot et le Goncourt des lycéens. Il faut dire que le roman mêle avec simplicité l’histoire personnelle du personnage principale, et la grande histoire collective, cette période qui a marqué à jamais l’Europe : la seconde guerre mondiale.

La famille de Charlotte est marquée par une tragédie, toute son enfance repose sur un instinct de survie et un semblant de normalité. Née juive, elle est, bien évidemment, peu à peu mise à l’écart de toutes les sphères sociales berlinoises. Elle parvient toutefois à faire son entrée aux beaux arts où elle développera tant bien que mal un coup de crayon naïf et coloré, criant de vérité. Réfugiée en France par la montée du nazisme, il lui faut peindre, vite, beaucoup, car elle se sait en danger.

Foenkinos dresse le portrait d’une jeune femme unique, dans la forme simplifiée d’une certaine prose contemporaine : une phrase par ligne, parfois sans verbe. L’effet est déroutant, chaque ligne nécessite une respiration, chaque mot prend le poids de sa signification, chaque souvenir devient le partage de l’histoire de Charlotte : de l’enfance  l’amour, de la famille à la tragédie, de l’histoire au rêve. Charlotte ne parle ni de la guerre, des déportations juives ou de la peinture de son personnage. Le livre parle de tout cela à la fois, avec une authenticité certaine, Foenkinos décrit des événements tels que la nuit de cristal ou les convois de Drancy et rencontre des personnages clés tels qu’Hannah Arendt, sans tomber dans le pathos d’une tragédie tant de fois ré-écrite.

“En marchant, elle pense aux images de son passé.
Pour survivre, elle doit peindre son histoire.
C’est la seule issue.
Elle le répète encore et encore.
Elle doit faire revivre les morts.”

Charlotte nous rappelle la frontière, souvent fine, parfois inexistante, entre l’art et la vie, et l’obsession du devoir créatif. Sa peinture, un véritable éclat de couleurs, dénote avec les temps sombres qu’elle vécut dans sa courte existence. Elle en fera d’ailleurs l’objet d’une oeuvre autobiographique. Entre 1940 et 1942, dans l’urgence de la survie, Charlotte réalise “Vie ? ou Théâtre ? Opérette aux trois couleurs” (Leben ? oder Theater ?). Ce corpus monumental de 1300 gouaches et des centaines de calques calligraphiés portraitise les personnalités croisées dans sa vie, au moyen des seules trois couleurs primaires. Une oeuvre aux traits parfois naïfs accompagnés de textes et de musiques, parsemés de citations de la littérature allemande.


Enfermées à l’intérieur d’une petite valise, les 841 gouaches que la jeune femme sélectionne pour la postérité sont confiées à un médecin de Villefranche sur mer envers lequel elle vouait une grande confiance. En lui tendant le précieux bagage elle dit seulement ces quelques mots : “c’est toute ma vie.”



Crédits photographiques : © Charlotte Salomon Fondation