Cette semaine, ATTITUDE Luxe met à l’honneur l’art de la faïence à travers une manufacture créée pendant la Révolution Française. Nous allons vous raconter l’évolution technique et artistique de la Faïencerie de Sarreguemines dont le rayonnement a duré plus de deux cents ans. Pendant le parcours de notre visite, nous irons au Moulin de la Blies, ancienne unité de production, puis au Musée de la Faïence admirer certaines des faïences les plus emblématiques de Sarreguemines.

     


Un peu d’histoire

Vous avez certainement remarqué que les grands soubresauts de l’Histoire donnent souvent naissance à de belles histoires. En 1790, au début de la Révolution Française, trois strasbourgeois négociants en tabac (les frères Jacoby et Joseph Fabry) installent une petite manufacture de faïences dans un moulin à huile à Sarreguemines. Dix années plus tard, Paul Utzschneider, bavarois installé à Strasbourg et excellent céramiste, reprend l’usine et y introduit des techniques qu’il a pu observer en Angleterre au cours d’un voyage d’études. Sa production est vite remarquée aux expositions nationales dont ses grès imitant la pierre dure très appréciés notamment par Napoléon Ier qui passe commande pour les palais impériaux. En 1836, Utzschneider se retire et c’est son gendre Alexandre de Geiger. qui poursuit le développement de la faïencerie en effectuant un rapprochement avec la manufacture Villeroy et Boch en 1838. Le paysage de la ville de Sarreguemines est alors marqué par l’implantation de plusieurs ateliers. La manufacture devient alors l’une des plus grandes faïenceries d’Europe. En 1871, son fils Paul fonde des succursales à Digoin en 1877, puis à Vitry-le-François en 1881. Près de trois milles ouvriers y travaillent et produisent des services de table, des objets de décoration en majolique ainsi que des panneaux décoratifs qui connaissent un immense succès commercial.
Après le décès de Paul de Geiger et à l’issue du premier conflit mondial en 1919, la compagnie prend le nom de « Sarreguemines – Digoin – Vitry-le-François » (S.D.V.) et est administrée par les membres de la famille Cazal. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la faïencerie est mise sous séquestre et sa gestion est confiée de 1942 à 1944 à Villeroy et Boch. En 1978, la manufacture est rachetée par le groupe Lunéville – Badonviller – St Clément et abandonne progressivement la fabrication de vaisselle pour s’oriente vers celle de carrelage. La production cesse définitivement en 2007 à Sarreguemines et à Lunéville-St Clément en 2022. Avec elle, c’est tout un patrimoine artistique et culturel qui disparaît en Lorraine. 

    


Moulin de la Blies : Musée des techniques faïencières

Un peu à l’écart de la ville, le lieu constitué de plusieurs espaces abrite une importante collection de machines et d’outils dédiée à la préparation des pâtes céramiques. Au cours d’un parcours très intéressant, je revis les étapes de fabrication des pièces, de la matière première jusqu’au service de table décoré. De temps en temps, et de manière ponctuelle, les anciennes machines sont remises en service, le temps d’une démonstration de coulage ou de calibrage.
De part et d’autre du bâtiment principal de 1841, de nombreux ateliers et lieux de stockage ont disparu et la nature a repris ses droits. Cet ensemble de végétaux et de minéraux a donné naissance en 2009 au Jardin des Faïenciers, imaginé par le paysagiste Philippe Niez. Il évoque les sources d’inspiration des artistes décorateurs, l’alchimie des couleurs et la fabrication de la faïence. L’endroit est absolument charmant et source d’inspiration.

    

Mais, l’art n’a pas dit son dernier mot au Moulin de la Blies ! En partenariat avec « MADE IN IEAC », (institut européen des arts céramiques de Guebwiller), l’exposition Acte 7 réunit en ce moment cinq artistes de la promotion 2020-2021 de l’IEAC : Alice Schmitt, Céline Le Guillou, Elsa Lecomte, Gaëlle Monnerie et Sophie Davin. Toutes les cinq avec une sensibilité différente et magnifique illustrent un savoir-faire ancestral. Avant de quitter le Moulin, faites un stop au salon de thé pour déguster des produits locaux ou goûter le Faïencier, pâtisserie à base de mirabelle et de bergamote.

       


Musée de la Faïence : Une collection patrimoniale et variée

Installé au coeur des ateliers de production en plein centre-ville de Sarreguemines, le musée occupe l’ancien appartement de Paul de Geiger. Pour entrer dans cet univers exceptionnel, mettons-nous à table : Le Dîner qui se déroule devant moi a été imaginé et créé par la compagnie mosellane La Bande Passante. Grâce à une mise en scène millimétrée, plusieurs décors présents dans les collections du Musée s’animent devant moi : Estampes d’Hokusai, service Obernai (l’emblématique !), assiettes historiées, … Dans la seconde pièce du rez-de-chaussée, ce sont les fresques murales qui sont à l’honneur à travers le décor Trianon. Apparues dans les années 1880, elles rencontrent un vif succès grâce au talent d’artistes de renom comme Simas, Sandier, Schuller... qui travaillent dans l’atelier des décorateurs rue de Paradis à Paris.
Au premier étage, les salles présentent de splendides vases en grès polis et fins imitant le porphyre, le granite, le basalte ou encore le jaspe. Suivent des pièces en porcelaine et en majolique dont les plus célèbres sont le surtout de table Le paon de Victor Kremer, la statue de Laurent de Médicis inspirée du Penseur de Michel-Ange ou encore la coupe Sandier, que j’ai le bonheur d’admirer dans une splendide mise en scène. Le musée possède aussi une incroyable collection de poêles et de cheminées. Dans une grande vitrine, je découvre des assiettes décoratives ou historiées, véritable média au XIXème : Des vignettes gravées sont apposées sur le fond des assiettes et permettent de diffuser des messages patriotiques ou des valeurs morales, de commémorer un évènement ou un personnage historique, politique…), ou encore de rendre compte de l’actualité. Un peu plus loin, je n’ai que l’embarras du choix pour choisir mon service de table : Ces derniers constituent l’essentiel de la production de la manufacture, qui propose des services pour six, douze, dix-huit ou vingt-quatre couverts.

    

Mais, la pièce monumentale du Musée est sans aucun doute Le Jardin d’Hiver. Il a été érigé entre 1880 et 1882 à la demande de Paul de Geiger, et raconte l’histoire de la manufacture. Les médaillons au-dessus des portes rappellent les précédents directeurs (Paul Utzschneider, « l’ancêtre fondateur » et Alexandre de Geiger, qui donne à la manufacture sa dimension internationale). Avec ses murs entièrement revêtus de faïence, sa fontaine monumentale en majolique et ses allégories de la Terre, de l’Eau et du Feu, cette pièce se veut l’illustration du brillant savoir-faire de l’entreprise !

    

Enfin, pour terminer notre découverte de Sarreguemines, cité faïencière, je vous invite à déambuler dans ses rues. Certaines ont un charme suranné auquel je n’ai pas résisté. Allez voir derrière l’actuel Hôtel de Ville, le dernier four à faïence encore debout … alors qu’en 1860, la ville en comptait une trentaine. Enfin, empruntez la passerelle qui enjambe la Sarre, pour admirer le Casino des Faïenceries. Vitrine emblématique de la Ville, ce bâtiment de 1878 voulu par Paul de Geiger, a été construit dans le cadre d’une politique paternalisme pour procurer aux ouvriers et aux employés un lieu de distraction, un espace de culture et de rencontre.

Visuels : ©Musées de Sarreguemines
www.sarreguemines.fr
www.sarreguemines-tourisme.com