Aucune exposition en France n’a encore été consacrée à l’art décoratif des Nabis né à la fin des années 1880. Il s’agit pourtant d’un domaine essentiel pour ces artistes qui voulaient abattre la frontière entre beaux-arts et arts appliqués. Le parcours de l’exposition est articulé en quatre sections qui abordent le sujet à travers des thèmes importants comme l’association symbolique de la femme et de la nature dans les oeuvres de jeunesse de Bonnard, Maurice Denis, Vuillard et Ker-Xavier Roussel, ou encore le thème des intérieurs chez Vuillard. Partons à leur rencontre.


Qui sont les Nabis ?

À la fin des années 1880, de jeunes artistes fascinés par la peinture de Gauguin se regroupent pour affirmer leur opposition à l’impressionnisme, qu’ils jugent trop proche de la réalité. Ils se désignent eux-mêmes comme des « nabis » – mot qui signifie « prophètes » en hébreu et en arabe – car leur ambition est de révéler un art nouveau. Le groupe, actif entre 1888 et 1900, se compose au début de peintres tels que Paul Sérusier, Paul-Élie Ranson, Pierre Bonnard, Édouard Vuillard, Maurice Denis, bientôt rejoints par d’autres artistes, notamment Ker-Xavier Roussel.
Ces personnalités très différentes s’accordent à donner à la peinture un rôle essentiellement décoratif avec l’idée d’abolir la frontière entre beaux-arts et arts appliqués. Fascinés par les estampes japonaises découvertes à l’occasion d’une exposition organisée à l’École des beaux-arts de Paris en 1890, les Nabis s’inspirent de ces images planes et colorées pour créer un style original. Leur art se nourrit de l’observation du monde contemporain, mais aussi de diverses philosophies, des religions et de doctrines comme l’ésotérisme. Il s’inspire également de la littérature, du théâtre et de la poésie.

   

Les jardins dans les décors

Vuillard est âgé de trente-six ans lorsqu’il reçoit une commande de son ami Alexandre Natanson pour réaliser un décor monumental destiné à orner le salon-salle à manger de son hôtel particulier. Le mécène lui laisse carte blanche pour le sujet des panneaux destinés à être encastrés dans des boiseries. Vuillard, qui travaille alors sur le thème des jardins publics, conçoit un cycle de neuf compositions en diptyque ou triptyque représentant différents lieux ainsi que des dessus-de-porte. Ce thème de plein air tiré de la vie moderne, où chaque scène peut être lue de manière autonome ou dans la continuité, était inédit pour un décor intérieur.
De son côté, Bonnard en 1891 est le premier à associer des figures féminines à un motif végétal pour composer un décor. Contrairement aux femmes fatales de la littérature fin de siècle ou aux nus mythologiques de la peinture classique, ces personnages sont posés par des modèles familiers des peintres, soeurs ou fiancées. Il accentue le caractère ornemental des éléments naturels par des déformations linéaires, des couleurs vives posées en aplats, une perspective sans profondeur. Les silhouettes féminines subissent la même stylisation en arabesque. Bonnard est rapidement suivi par Maurice Denis, Édouard Vuillard et Ker-Xavier Roussel.

            

Pierre Bonnard                                                                                        Edouard Vuillard

Femmes à la robe à pois blancs                                                                Jardins publics, La Promenade

© Rmn-Grand Palais (musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski                     © The Museum of Fine Arts, Houston

Les intérieurs

Vuillard bénéficie très tôt de commandes de panneaux destinés à orner les intérieurs de ses amis. Dans les deux ensembles exposés, il choisit de montrer les occupants des lieux dans leur propre environnement. Cette mise en abyme permettait aux commanditaires de se voir dans leur décor comme dans un reflet de la réalité. Les intérieurs sophistiqués de Vuillard montrent un lieu protégé de toute intrusion extérieure et des agressions de la société moderne. La dimension symbolique des intérieurs de Vuillard est directement liée à son expérience de metteur en scène au théâtre de l’OEuvre.

         

Edouard Vuillard                                                                              Edouard Vuillard

Le Corsage rayé - © Petit Palais/Roger-Viollet                                   L’Intimité  © Washington, National Gallery of Art                                                                

Des Nabis à l’Art Nouveau en passant par le Japonisme

En décembre 1895, les Parisiens découvrent la première exposition organisée par Siegfried Bing dans sa Maison de l’Art nouveau. Les pièces remplies de meubles, de bibelots, de peintures, de sculptures et d’estampes sont aménagées comme un appartement. Des frises décoratives commandées par Bing à Denis et Ranson figurent au milieu de meubles conçus par l’architecte décorateur d’intérieur Henry Van de Velde. À cette époque, presque tous les Nabis dessinent des projets d’arts appliqués répondant ou non à des commandes. Ils produisent des prototypes de petit format, comme des éventails ou des abat-jour, ou plus importants, comme des tapisseries ou des papiers peints. À l’issue d’un voyage aux États-Unis en 1895, Bing commande à Bonnard, Maurice Denis, Roussel, Toulouse-Lautrec et Vallotton des cartons pour des vitraux, qu’il fait exécuter par le maître verrier américain Louis Comfort Tiffany.
Par ailleurs, Siegfried Bing publie Le Japon artistique en 1888, une revue luxueusement illustrée, destinée à faire connaître les techniques traditionnelles japonaises et les grands artistes. Aucun témoignage ne permet de dater avec précision le début de l’intérêt des Nabis pour l’art japonais. Il est cependant établi que la plupart d’entre eux ont découvert les estampes de l’ukiyo-e (« image du monde flottant ») en visitant l’« Exposition de la gravure japonaise » organisée à l’École des beaux-arts de Paris au printemps 1890. Ils commencent alors à collectionner des estampes, qu’ils épinglent sur les murs de leurs ateliers.

         

Paul Ranson                                                                                                      Edouard Vuillard

Les Canards (projet de papier peint)                                                                    Les Marronniers (carton de vitrail)

© musée des beaux-arts de Quimper                                                                  © Dallas Museum of Art, The Eugene and Margaret McDermott Art Fund, Inc. 2010.15.McD





Jusqu’au 30 juin 2019

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