Les mots, tel un torrent furieux, coulent. Les assertions frappent incongrues, singulières. Les situations ubuesques, décalées charment et ensorcellent. Portée par des comédiens épatants, la fable noire de Sonia Nemirovsky nous emporte dans le tourbillon impétueux de son écriture acide que la mise en scène lumineuse de Bertrand Degrémont, transcende. Une friandise aigre-douce fort savoureuse.

Sur scène, les restes d’un mariage encombrent l’espace. Des ballons à peine gonflés, des confettis éparpillés sur le sol, une table dressée - sur laquelle sont posés çà et là, quelques cadavres de bouteille, quelques verres à moitié remplis et une pièce montée non entamée – sont les vestiges d’une fête qu’on imagine orgiaque. Au centre, portant une robe de mariée, une rousse (épatante Sonia Nemirovsky) s’abandonne à quelques pas de danse dans les bras d’un homme de haute stature (surprenant Grégory Vouland). Un peu plus loin, affalé, un autre homme (étonnant Jean-Loïc François) dort. 

Pourtant, un je-ne-sais-quoi - le regard absent, imbibé d’alcool, de la jeune femme, l’air engoncé de son partenaire - gène, dérange. Tout semble figé dans un étrange et morose silence. Puis, la parole se libère. Les mots coulent dans un flot ininterrompu bien que chaotique. Ils libèrent nos protagonistes de la léthargie qui les avait, un temps, anesthésiés dans la tristesse, dans une singulière douleur. Le marié, un marin (savoureux Olivier Kuhn), n’est jamais venu. Emportant ses maigres affaires dans un baluchon, il s’est tiré, juste avant la noce, pour retrouver une ensorcelante et bien barrée sirène (décalée Suzanne Marrot). 
De sa plume acérée au lyrisme cinglant, Sonia Nemirosky esquisse avec virtuosité la noirceur d’un monde où rien n’est acquis, où tout se perd. Femme flamme blessée, elle brosse le portrait d’une société en urgence, où tous cherchent la bagarre faute d’y trouver l’amour et le réconfort, et signe un conte désabusé sur les amours perdues, les fausses promesses et la duplicité d’un romantisme niaiseux, mièvre. En nous invitant à ces noces noires, en en soulignant toute l’absurdité, toute la beauté surréaliste par une mise en scène ciselée, éblouissante, le ténébreux Bertrand Degrémont nous oblige à lâcher prise et à nous laisser emporter dans un tourbillon d’émotions aussi émouvantes qu’hilarantes. 

Joutes verbales, œillades assassines, jeux de mains, temps morts singuliers, sont les étonnantes pierres de cet édifice foutraque et burlesque qui dans la lumière d’une étrangeté singulière révèle une poésie sensible, fragile, impérieuse. Des marins, jouant de leurs muscles, aux sirènes, un brin naïves, hystériques, des jeunes femmes neurasthéniques en mal d’amour aux hommes solitaires rêvant d’être aimés, c’est tout un monde insolite qui surgit devant nos yeux ébahis, nous saisit et nous ensorcèle.
Fasciné par ce lyrisme décalé, par cette peinture d’une époque décomplexée où les femmes sont des êtres-objets en colère, les hommes, des fanfarons éconduits, on est charmé par la fraîcheur, la luminosité des comédiens. Suzanne Marrot (en alternance avec Emilie Piponnier ou Pauline Lacombe) est une éblouissante sirène un brin à la masse. Jean-Loïc François interprète un admirable détective tout en maladresse et conclusions hâtives. Grégory Vouland se glisse dans la peau d’un stupéfiant jardinier, complétement à côté de la plaque. Olivier Kuhn campe un musculeux marin, plus « kakou » que séducteur, plus superficiel que profond. Enfin, Sonia Nemirovksy illumine l’ensemble de son style inimitable. Fille égarée, un peu perdue, elle donne à son personnage de femme délaissée sur le port une singulière lueur qui bouleverse et émeut. 

En un mot, comme en cent, oubliez vos repères et laissez-vous charmer par cet objet théâtral hors norme, cette pièce flottante à la poésie âpre, vibrante, humaine. Épatant ! 

Olivier Frégaville-Gratian d'Amore
 Informations pratiques : 
Les Flottants de Sonia Nemirovsky
jusqu’au 1er juillet 2017
du mardi à samedi à 21H
durée 1h15

Générique : 
Mise en scène Bertrand Degrémont assisté par Claire Lellouche
avec 
Grégory Vouland, Jean-Loïc François, Olivier Kuhn, Sonia Nemirovsky, Emilie Piponnier en alternance avec Pauline Lacombe ou Suzanne Parrot et la voix d’ Arnaud Gidoin
lumière de Bertrand Degrémont et Claire Lellouche
scénographie de Claire Lellouche
production : Compagnie des traversés

coproduction : La porte au trèfle

soutiens : Spedidam

coréalisation : théâtre Lucernaire

Lieu : 

Théâtre du Lucernaire
53, rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris 

Comment y aller ? 
métro Notre-Dame des Champs (ligne 12), Vavin (ligne 4) et Edgar Quinet (ligne 6)
Bus 58, 68, 82, 91, 94, 96

Réserver :
sur le site du théâtre du lucernaire
par téléphone au 01 45 44 57 34

 crédit photos : © Quentin Farriol