Léonard de Vinci, peintre, ingénieur et savant universel, Michel-Ange Buonarroti, prodige de la peinture, sculpteur et architecte d’exception. Deux visions distinctes, deux caractères opposés et a priori incompatibles. Et pourtant, une relation étroite se noue au beau milieu de l’Automne 1516.

Vinci, installé à la fin de sa vie au Clos-Lucé prend la plume pour écrire à son jeune émule, Michel-Ange, séjournant, lui, à Pietrasanta à la recherche des plus beaux marbres destinés à la façade de la Basilique de San Lorenzo. S’instaure entre eux un dialogue passionnant autour de leur pensée, de leur vie et de leurs œuvres. Des commentaires sur l’ingenium au débat sur le fameux paragone, de leur rivalité inscrite sur les fresques du Palazzo Vecchio à la naissance du David et du Cavallo, cette correspondance pleine d’esprit inaugure les grands enjeux de leur siècle.

S’appuyant sur une importante documentation, l’auteur expose ces témoignages inventés bien que vraisemblables qui jamais ne trahissent les visées de leurs auteurs et les faits de l’histoire passée. Les deux créateurs confrontent leurs idées, retracent leur vie et exhument le parfum d’une époque glorieuse et habitée.

C’est le livre d’une réconciliation impossible entre les deux grands maîtres de la Renaissance italienne. Comme un rêve qui devient réalité.




L'auteur : Guillaume Robin

Né le 26 décembre 1978, Guillaume Robin est essayiste et historien d’art.

Il est l’auteur de plusieurs ouvrages parmi lesquels Lettrisme, le bouleversement des arts (Hermann, 2010), Les Peintres oubliés, du Quattrocento à l’ère moderne (Ovadia, 2014), Picasso & Paris (Hugo & Cie, 2015), Les Secrets de l’Art moderne (Art3/Plessis, 2017) et Je suis… Paul Fort (Jacques André éditeur, 2017).


“Votre Bataille d’Anghiari, célébrant la lutte de notre peuple contre les Milanais, s’inscrivait dans la tradition chevaleresque ; je pris le parti de représenter une ribambelle de corps dénudés, à la beauté parfaite, se hâtant juste avant l’assaut final. J’optai pour des figures toutes en torsions et en raccourcis afin de témoigner avec plus d’ardeur de l’énergie créatrice anciennement proposée par Myron et Scopas. Les corps se mêlèrent entre eux et ainsi se démarquèrent du schéma classique proposé par nos devanciers tels Signorelli et les frères Pollaiuolo. Grâce à ces artifices, ma fresque pouvait devenir le juste prélude à la Bataille d’Anghiari, au travers même de ce que je savais faire de mieux, à savoir peindre l’homme.”

Michel-Ange, lettre VIII



“Dans ces nuages de poussière, dans la fumée des canons de l’artillerie, sous les projectiles des arquebusiers, les montures hennissent, galopent, se cabrent et se traînent dans une scène d’épouvante où vainqueurs et vaincus, fantassins courageux et craintifs, étalons dociles ou sauvages ne trouveront de répit que dans la mort. Les corps éreintés et les visages rosis par la haine des soldats se mêlent aux féroces destriers à la rage écumante. Il me tenait à cœur d’exploiter les ressemblances criantes entre ces deux espèces, enlacées dans un même destin, dans une même douleur. Dans cette mêlée confuse, suspendue au bruit des armes, plus rien n’est discernable. Les chairs, les muscles et la peau s’entrelacent au cœur du tumulte.”

Léonard de Vinci, lettre IX




Avec ce puissant Colosse (ci-dessous), j’ai fait vœu de sublimer le nu masculin, que je considère comme l’écorce du divin. Cette sculpture est un hommage aux canons antiques, qu’il est aisé de déceler dans la pose maniérée en contrapposto , mais dans le même temps j’ai voulu m’éloigner de ce modèle par le rendu nerveux et les formes noueuses qui s’opposent à la grâce apollinienne de l’art gréco-romain. La posture relève de celle des créatures de Polyclète, mais l’imposante masse musculaire reportée sur ce corps tout en convulsions demeure une invention tout droit sortie de mon esprit. A la faveur de mes connaissances en anatomie, j’ai pu concevoir ce bloc massif de pierre fait de chair et de muscles.

Michel-Ange, lettre VI

     

Combien de fois m’est-il arrivé d’esquisser de mémoire votre David ! Les temps changeaient, et il me fallait recueillir cette nouvelle manière, point de départ d’un héroïsme exubérant. En outre, mon ami messire Antonio Segni me fit la commande d’un dessin de Neptune jaillissant des eaux, et, pour sa réalisation, je m’inspirai de votre chef-d’œuvre. Ainsi, tout comme vous, dans le reflet de votre guerrier j’ai connu la fièvre de l’antique, et je pense même n’en avoir jamais été complètement guéri.



Léonard de Vinci, lettre VII

 


Entretien avec l'auteur

Samentha Bergonion : D’où vous est venu l’idée de ce livre ?

Guillaume Robin : Après avoir étudié un monument de l’art moderne avec Picasso (cf. Picasso & Paris, ed. Hugo&Cie), j’avais envie de revenir aux sources de ma passion pour l’art. La Renaissance est probablement la période la plus riche en matière de création et annonce le début d’une prise de conscience au niveau du statut de l’artiste et de sa valeur dans le monde. J’ai toujours été fasciné par Michel-Ange, sa personnalité, sa dissidence et son œuvre originale, presque insurpassable dans l’histoire de l’art. Quant à Léonard de Vinci, sa découverte s’est faite plus tardivement mais a été à la hauteur de cette intelligence hors du commun. Sans eux, il va sans dire que le visage de l’art n’aurait pas été le même. Pour donner quelques exemples, que ce soit dans la redécouverte du nu antique héroïque avec Michel-Ange ou dans la finesse du sfumato dans la peinture de Vinci, ces deux créateurs ont apporté une nouvelle pierre à l’édifice culturel et artistique. Je pensais donc qu’il y avait suffisamment de matière pour parler de cette révolution artistique globale. Le rapprochement autour d’un dialogue entre ces deux figures me permettait d’aborder différentes thématiques et de révéler toutes les strates de pensées de leur siècle.

SB : Pourtant, Michel-Ange n’avait pas beaucoup d’affinités avec Vinci, d’après certains témoignages de l’époque ?

GR : Comment avez-vous réussi à réunir ces deux caractères antagonistes ? S’il est vrai que Michel-Ange avait un caractère difficile, enclin à la mélancolie et que Vinci, (d’après ce que l’on sait) était un homme affable, plus mesuré que son homologue, ils avaient néanmoins des points de vues et des opinions qui, comme tout homme, les rapprochaient, notamment la difficulté d’être considéré comme un artiste et non plus un faire-valoir au service de…, de faire comprendre les visées de leur art et de survivre dans un monde où la terreur de la guerre étaient omniprésente, où le peuple se repliait facilement dans la religion etc. Je suis donc parti d’une anecdote retracée par un auteur anonyme dans laquelle Vinci interpella Michel-Ange sur l’analyse de certains vers de Dante, près de la place de l’église de Santa Trinita à Florence. Vinci aurait demandé à Michel-Ange de lui fournir une explication sur l’un des passages marquants de La Divine Comédie du célèbre poète. Michel-Ange, dont on connait l’orgueil, n’aurait pas apprécié la manière dont Vinci l’aurait apostrophé, d’où la mésentente qui aurait perduré. Sans renier ce fait de l’histoire, j’ai donc imaginé Vinci écrivant à Michel- Ange et entamant, des années après, une possible conciliation. Ce qui me donnait l’occasion d’offrir au lecteur une confrontation directe entre les deux hommes et un échange vivant sur leur pensée, leur philosophie et leurs œuvres.

Vinci, aussi, a copié le David de Michel-Ange, on a retrouvé la trace d’une esquisse le reproduisant.

SB : Dans le livre, on recense beaucoup de débats sur la place de la peinture notamment, mais également sur la religion etc. Comment avez-vous procédé pour compiler toutes ces pensées en une seule correspondance ?

GR : En réalité, la correspondance de Michel-Ange et les traités de Léonard sont une véritable mine d’information qui évidemment m’a beaucoup servi. Certains contemporains, également, ont écrit sur eux et les livres d’historiens expliquant leurs œuvres ne manquent pas. Autrement, les débats sur le « paragone » (le débat sur la place de la peinture et de la sculpture), celui aussi de l’imagination contre l’imitation, étaient très courants à l’époque. On discutait de ces sujets volontiers, il n’est qu’à lire Le Livre du courtisan de Castiglione ou la correspondance de l’Arétin pour s’en rendre compte. Et les points de vue philosophiques de Michel-Ange (de tendance néo-platoniciennes) et Vinci (proches d’Alberti) sont facilement détectables, que ce soit dans leurs écrits ou dans leurs œuvres. Au final, les deux artistes ne manquaient pas d’arguments pour étayer leur thèse de départ.

SB : Au-delà du volet philosophique, on apprend beaucoup sur la vie des deux protagonistes (ils étaient tous les deux florentins), leurs parcours et leurs œuvres. Leur art est-il si différent ? y a- t-il des traits communs ou le contraste est-il bien avéré ?

GR : On voit aussi que Michel-Ange et Vinci apprécient l’architecte Sangallo qui les a tous les deux aidés (l’un pour la Sixtine et l’autre pour le bronze du Cavallo de Vinci).

Et bien, disons que leurs œuvres, effectivement, sont plutôt dissemblables, presque même souvent à l’opposé. On a d’un côté un artiste, plus sculpteur que peintre, imprégné de religion et travaillant pour les papes et de l’autre, un ingénieur, un observateur de la nature, plus peintre que sculpteur, et lui par contre, plus proche des princes et des rois que du clergé avec, en outre, des fonctions et des demandes différentes. Après, il y a forcément des points de contact entre eux, ils sont issus du même siècle, viennent de la même ville, ils ont les mêmes références intellectuelles, la même formation philosophique donc parfois ils se rejoignent. Dans les œuvres, par exemple, on voit bien le caractère androgyne de Michel-Ange dans les Sibylles musculeuses de la Sixtine, on retrouve cette ambiguïté dans les portraits de Vinci comme celui du Saint-Jean-Baptiste. On sait aussi qu’ils ont tous les deux parfaitement étudié l’anatomie humaine, cela se remarque chez l’un comme chez l’autre (dans les marbres de Michel-Ange comme le David ou dans les dessins anatomiques de Vinci). Je pense par exemple que la Pietà n’est pas si éloignée de l’art de Vinci. Il est d’ailleurs possible que Michel-Ange ait pu s’inspirer du visage du Messie de la Cène de Vinci à Milan pour son propre Christ. Vinci, aussi, a copié le David de Michel-Ange, on a retrouvé la trace d’une esquisse le reproduisant. Bref, tout n’est pas noir ou blanc si je puis dire, il y a bien des nuances variées mais complémentaires.

SB : On voit bien aussi que, dans les relations sociales, ils n’ont pas les mêmes cercles d’intimes et qu’il y a parfois de l’animosité dans le milieu de l’époque. Tout cela était-il aussi violent que vous le décrivez ?

GR : Oui, les relations étaient assez violentes, il n’y avait définitivement pas de politiquement correct… Quand on n’aimait pas, on n’aimait définitivement pas ! Surtout que les nouveaux venus pouvaient rapidement prendre la place d’un tel ou un tel et l’artiste reconnu être rapidement écarté du pouvoir. Les dires de Michel-Ange sur Raphaël ou celui-ci affirme qu’il lui a tout pris sont véridiques, les avis tranchés de Vinci sur Botticelli sont également vrais (sur la façon de peindre les paysages d’arrière-plan). On voit aussi que Michel-Ange et Vinci apprécient l’architecte Sangallo qui les a tous les deux aidés (l’un pour la Sixtine et l’autre pour le bronze du Cavallo de Vinci). Tout ce qui est décrit dans les lettres est réel et a vraiment existé. Le lien entre eux est fictif mais la vie des protagonistes, la pensée, les influences, leur formation et leur relation dans le monde, tout cela est bel et bien réel.

SB : Le point d’orgue de cette conversation est la rivalité inscrite dans la commande des deux fresques de la salle du conseil du Palazzo Vecchio, un large pan de mur décrivant La Bataille d’Anghiari pour Vinci et l’autre, La Bataille de Cascina, pour Michel-Ange.

GB : On est tous déçu que ces fresques n’aient pas existé et qu’il ne reste plus que des reproductions de ces deux batailles. A l’origine, les fresques devaient célébrer la puissance des Florentins sur les peuples ennemis. La Bataille d’Anghiari se concentrait sur une lutte chevaleresque pendant l’affront alors que son pendant, La Bataille de Cascina évoquait le moment juste avant le combat. Deux oppositions, deux styles marqués, avec d’un côté, une composition ou les chevaux se mêlent aux hommes dans une même fureur, une même hargne, ce que l’on nomme la pazzia bestialissima et de l’autre, une composition avec une flopée de corps nus à l’antique, tout en mouvement, totalement éloignée du schéma classique des batailles de l’époque. Les seuls cartons de ces deux batailles furent considérés en leur temps comme « l’École du monde » par les plus grands penseurs, artistes et princes de l’époque. Si ces deux batailles avaient bel et bien existé en face à face, elles auraient certainement éclipsé la Sixtine, La Joconde et n’importe laquelle des œuvres visibles aujourd’hui. Mais, pour moi, en tout cas, retracer son souvenir fut très émouvant. C’est d’ailleurs en partant de ce rêve de réunification de ces fresques que j’ai voulu faire parler ces deux géants, certainement pour mettre à jour mes désirs les plus profonds et parler alors d’une époque bénie pour l’art et pour la pensée. Nous étions dans un siècle éclairant, à tout point de vue.

Propos recueillis par Samantha Bergognon - Agence Pass Art


Michel-Ange, Léonard de Vinci, correspondance imaginaire

Repères d’art

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Parution : Novembre 2019
Prix : 18 €