Cantatrice, journaliste, femme de lettres orientaliste, grande exploratrice du XXème siècle, l’inclassable Alexandra David-Neel a posé ses malles à Digne-les-Bains en 1928. Pour célébrer les 50 ans de sa disparition, la capitale de la Haute-Provence a rénové sa maison et créé un musée qui raconte sa vie de voyageuse féministe et libertaire.

Digne-les-Bains, son port d’attache

« Le Couar n’est pas l’Everest, mais le soleil brille, le ciel est bleu et la beauté de ces Préalpes ressemble à des Himalayas pour Lilliputiens » aimait répéter aux journalistes Alexandra David-Neel, qui avait fait de Digne-les-Bains son port d’attache. Depuis le 25 juin dernier, sa maison, Samten Dzong (Résidence de la Réflexion en tibétain, qu’elle avait initialement traduit par Forteresse de la Méditation), est redevenue le lieu d’écriture où elle vécut près de 30 ans. Une demeure qu’elle avait fait construire, à la place d’un cabanon en ruine, avec les droits d’auteur de son best-seller Voyage d’une parisienne à Lhassa.
 
Le musée d’une infatigable voyageuse

Son mythe d’intrépide exploratrice est né lorsqu’elle avait 56 ans. Mais Louise Eugénie Alexandrine Marie David avait déjà eu un parcours très riche pour l’époque, comme l’attestent les documents inédits exposés au musée.
Au rez-de-chaussée, la première partie de sa vie se déroule comme un film en quatre-vingt fenêtres, où transparait déjà son tempérament libertaire. 
Née le 24 octobre 1868 à Saint-Mandé, elle grandit à Bruxelles, dévorant les romans de Jules Verne. Elle cultive un goût prononcé pour l’aventure, souhaitant aller au-delà des limites imposées, multipliant les fugues dès l’adolescence.
Premier Prix de chant théâtral au Conservatoire royal de musique de Bruxelles, elle commence à gagner sa vie comme cantatrice sous le nom d’Alexandra Myrial. Dans un premier roman très féministe Le Grand Art, elle témoigne de la condition des actrices au XIXème siècle.
En marge de cette prise de position, elle multiplie les engagements : anarchiste auprès du géographe Elisée Reclus, ami de son père, politique au journal La Fronde, philosophique au sein de la société Théosophique et d’une loge maçonnique.
Parallèlement elle étudie le bouddhisme et l’hindouisme, apprend le sanskrit, fréquente assidûment la bibliothèque du musée Guimet, puis se convertit au bouddhisme.
A 36 ans, à Tunis, elle épouse un ingénieur français, Philippe Néel (elle anglicise alors son nom en supprimant l’accent pour le rendre plus international). Ils formeront un couple atypique, vivant très peu ensemble, mais nourrissant durant 40 ans une abondante correspondance jusqu’au décès de Philippe en 1941.
Photo : Musée ©François-Xavier Emery | 2019
Le voyage intérieur 

A l’étage du musée, on la suit dans ses pérégrinations asiatiques. Une bourse, obtenue grâce au succès de l’ouvrage Le bouddhisme du Bouddha, doit lui permettre de partir pour 18 mois en Asie. Elle y restera 14 ans.
Photos et lettres en illustrent les principaux temps forts : audience avec le XIIIème Dalaï Lama, apprentissage du tibétain, rencontre au Sikkim avec un jeune serviteur de 15 ans, Aphur Yongden, qu’elle adoptera à leur retour en France, deux années d’initiation au bouddhisme tantrique à l’ermitage de Lachen et trois années au monastère de Kum-Bum pour parfaire son expérience spirituelle.
Fascinée par le grandiose décor, elle confie : « nulle description ne peut donner une idée de la sereine majesté, de la grandeur farouche, de l'aspect effroyable et du charme ensorcelant des différents paysages tibétains ». Mais les conditions de vie sont rudes : « tâche de te représenter une tente minuscule, seule dans un recoin de montagne, par un soir où le froid pique, où la terre durcie sonne sous les pas, un feu de bouse de vache flambant devant la tente avec une marmite de thé plantée sur trois pierres et deux tout menus voyageurs, leurs bonnets enfoncés jusqu’aux yeux, assis autour de ce primitif foyer », écrit-elle à son mari.

Dans les immensités glacées du Toit du Monde

En octobre 1923, elle décide d’aller à Lhassa, cité interdite aux étrangers par les forces coloniales britanniques. Une sorte de revanche : elles l’ont expulsée du Sikkim huit ans plus tôt. Mais l’expédition, qui lui vaudra la célébrité, se révèle périlleuse.
Une marche quasi-inhumaine de 2000km, ponctuée de cols à 5000m, de traversées de rivières accrochée à un câble. Son obstination et sa ténacité frôlent l’entêtement. Après cinq tentatives, à bout de force, « réduite à l'état de squelette », déguisée en mendiante, les cheveux noircis à l’encre de Chine, le visage couvert de suie, elle pénètre enfin dans la capitale sacrée des Tibétains « Lha gyalo! » (les dieux ont triomphé!) s’écrit-elle face au Potala, palais-forteresse du dalaï-lama.
Direction la Chine

La troisième salle du musée est consacrée à son dernier voyage qui débute en 1937. Ni la maigre nourriture, ni le jeûne forcé, ni le froid extrême, ni la neige n’ont entamé son désir de repartir à 69 ans. Mais cette nouvelle expédition s’apparente à une fuite constante. « Le destin s’est moqué de moi en me ramenant en Chine au moment où elle allait être bouleversée par une guerre effroyable » écrit-elle. Un double conflit, guerre civile et guerre sino-japonaise, contraint Alexandra et Yongden à aller d’un monastère à l’autre.
Sur le chemin du retour, elle confie : « nous avons quitté Chengtu le 27 juillet 1945. Remarque à retenir : ne pas habiter un pays pluvieux, ne pas habiter un appartement en ville. Il me faut un jardin pour sortir et il me faut des promenades à la campagne à proximité. Digne satisfait pas mal à ces conditions ».
©François-Xavier Emery | 2019

Adepte du tuomo

De retour à Samten Dzong en 1946, entre la rédaction de nombreux ouvrages sur le Tibet et des séries de conférences, elle campe en plein hiver à 2230m au bord du lac d'Allos. Dans les hautes altitudes himalayennes, elle a été initiée au tuomo. Cette pratique spirituelle, qui permet de repousser les limites de résistance au froid, débute à la tombée de la nuit. Dénudée, assise à proximité d'un cours d'eau non gelé, elle s’enroule de draps plongés dans l'eau glacée qui doivent sécher sur son corps, et répète l’opération jusqu'au lever du jour.
Après la mort de son fils en 1955, elle rencontre Marie-Madeleine Peyronnet qui sera durant une dizaine d’années à la fois secrétaire, confidente, cuisinière, infirmière.
Le 8 septembre 1969, quelques semaines avant ses 101 ans (alors qu’elle vient de refaire une demande de passeport), Alexandra tire sa révérence.
Sa maison restituée « dans son jus »

Gardienne des lieux selon la volonté de l’écrivaine, Marie-Madeleine va mettre toute son énergie à faire connaître son oeuvre jusqu’à ce que la ville de Digne, principale héritière, restitue l’esprit originel de Samten Dzong.
Malgré les murs aux couleurs chatoyantes, les papiers peints colorés et les portes serties de vitraux bariolés, cette demeure, au mobilier hétéroclite, se veut sobre à l’image d’une femme aux goûts simples, voire rustiques.
Après le salon tibétain où elle recevait, on déambule en petit groupe jusqu’au premier étage, entre les bibliothèques chargées d’ouvrages précieux rapportés de ses voyages et les tables sur lesquelles elle écrivait pendant des heures. Ici et là, on découvre une impressionnante correspondance, comme cette lettre de Marguerite Duras sollicitant une entrevue, qu’Alexandra n’aura pas le temps d’honorer.
Cette maison dégage une sorte de magie mystique, comme si elle s’était absentée pour quelques heures.
©François-Xavier Emery | 2019
Non loin de son tilleul, témoin muet de ses promenades, le jardin de roses, auquel elle était particulièrement attachée, a également été restitué. La palette de couleurs, qui oscille aux beaux jours du rose tendre au parme discret, voisine une plantation d’herbes aromatiques et un verger-potager dans l’esprit du jardin nourricier expérimenté à Lachen.

Marche méditative sous un ciel lumineux

Certes ses écrits ont fait d’elle une exploratrice hors du commun. Mais ils ont dévoilé à la pensée occidentale du début du XIXème siècle des perspectives novatrices sur les philosophies bouddhiques. L’irrésistible attrait d’Alexandra pour la spiritualité orientale se doublait d’une farouche volonté de transmission, pour un futur qu’elle voulait empreint de liberté, de connaissance et de sagesse.
On peut prolonger l’esprit de cette visite en allant randonner dans la vallée de Descoures, un site naturel où Alexandra aimait probablement marcher en méditant. Pascal Mazzani, accompagnateur en montagne et sophrologue, propose une marche en conscience et une marche Afghane dans ces montagnes où le ciel est « toujours merveilleusement lumineux ».
Passées les clues de Barles, où les roches érodées plongent dans les eaux assourdissantes du Bès, le sentier grimpe vers des crêtes chauves. Là, s’épanouit le genévrier thurifère utilisé dans les compositions d’encens des monastères tibétains.
Photo : Jardin de roses de ©François-Xavier Emery | 2019

       

Photo 1©François-Xavier Emery | 2019                                                                            ©Photo 2 & 3 Clues de Barles
Carnet de route

www.alpes-haute-provence.com

www.dignelesbains-tourisme.com 

www.alexandra-david-neel.fr

Maison : visite guidée sur réservation

Musée : visite libre tous les jours sauf lundi. Tel. 04.92.31.32.38

Randonnée avec Pascal Mazzaniwww.cheminsdedetente.fr.

Y aller

A lh10 de la gare d’Aix-en-Provence TGV.
Autoroute A 51direction Gap, sortie Peyruis, puis RN 85.

©Vallée de Descoures

Restaurant Le Grand Paris

Aux fourneaux de cet établissement implanté dans un ancien couvent du XVIIème siècle, Noémie Ricaud concocte une cuisine gastronomique aux saveurs provençales.

19, boulevard Thiers, 04000 Digne les Bains. Tel. 04 92 31 11 15.

 Nusa Café

Face à la Maison d’Alexandra David-Neel, deux sœurs, Léna et Tiané, proposent une nourriture healthy à base de produits locaux frais, accompagné d’un cocktail de légumes maison. 

10 Avenue du Maréchal Juin, 04000 Digne-les-Bains. Tel.04 92 83 79 24.

©Lettre de Marguerite Yourcenar