Quand la passion s’émousse, les mots deviennent froids, cliniques. Les gestes d’amour laissent place à l’habitude, à la tendresse, puis à plus rien. Les doutes, la suspicion s’installent en lieu et place de l’admiration. En adaptant la pièce de Gérard Savoisien, qui scrute ce moment de bascule, Arnaud Denis signe un spectacle touchant où, aux côtés de Christophe de Mareuil tout en retenue, Anne Bouvier explose littéralement. Captivant ! 

La quarantaine flamboyante, Madeleine Béjart (éblouissante Anne bouvier) a tout pour être heureuse. Courtisée par les fats marquis et les beaux gentilshommes de la cour, elle est depuis 20 ans maintenant l’amante fidèle du volage Molière (contrit et passionné Christophe de Mareuil). Au faîte de sa gloire, adulé des puissants, le dramaturge triomphe. Il fait rire le Roi, les seigneurs et les gens du peuple. La vie leur sourit.

Pourtant, des fêlures, des non-dits, entachent ce bonheur si parfait. Les trahisons de cœur du trop charnel Jean-Baptiste blessent la belle Madeleine. Elle s’en accommode comme elle peut. Après, tout ce ne sont que des toquades se persuade-t-elle. Elle lui a tout donné, sa vie, son âme, son métier, il ne peut l’abandonner. Elle se leurre, refusant de voir l’inéluctable, l’intolérable, l’innommable. Après avoir asséché son corps, il cherche dans les appâts de sa fille, Armande, portrait craché de sa mère avec 20 ans de moins, les plaisirs de la vie conjugale. Le drame éclate, violent, cruel, faisant vaciller la femme abandonnée, blessée dans son cœur de mère et de maîtresse.

S’emparant de la pièce de Gérard Savoisien, Arnaud Denis joue sur les temporalités, s’amuse des savoureux dialogues et donne à l’ensemble une profondeur, une intensité qui attrape. Bien que classique, sa mise en scène, en intégrant des extraits de pièces de Molière, prend de l’ampleur, de la gouaille et nous entraîne dans les tourments de la passion, le tourbillon de la désillusion, dans les errances d’une femme blessée dans tout ce qu’elle a de plus cher son cœur, sa chair. À coup de répliques, cinglantes, assassines, de bons mots, passant du rire au drame, la ronde féroce des sentiments emportent tout, les amours mais aussi les haines, les rancœurs et les chagrins. Après tout, c’est ça aussi, le théâtre, une grande famille !
Face à Christophe de Mareuil, qui campe avec beaucoup de sobriété, de justesse, un Molière partagé entre l’amour, la tendresse qu’il porte à celle qui l’a toujours soutenue et la passion dévorante que provoque en lui la trop jolie fille de celle-ci, Anne Bouvier est une Madeleine moderne, fragile et forte, une femme d’aujourd’hui a qui l’on vient de déchirer le cœur. Pétulante, drôle, bouleversante, elle est toutes ces quarantenaires laissées sur le côté pour une plus jeune, qui préfère s’effacer avec panache plutôt que détruire les derniers souvenirs d’une belle histoire d’amour. Une gourmandise à savourer avec délice, un moment de théâtre fascinant. Bravo ! 

Informations pratiques : 
Mademoiselle Molière de Gérard Savoisien
Festival d’Avignon le OFF
jusqu’au 29 Juillet 2018
tous les jours à 14h50 relâches 10, 17, 24 juillet 2018
durée 1h15

Jusqu'au 4 novembre 2018 
Du mardi au samedi à 20h et le dimanche à 17h
durée 1h20
 
Générique : 
Mise en scène d’Arnaud Denis
Avec Anne Bouvier et Christophe de Mareuil
Coproduction  ZD PRODUCTIONS

Lieu : 
Théâtre Buffon
18 rue Buffon
84000 Avignon

Théâtre du Lucernaire
53, rue Notre-Dame des champs
75006
Paris 

Comment y aller ?
métro Notre-Dame des Champs (ligne 12), Vavin (ligne 4) et Edgar Quinet (ligne 6)
Bus 58, 68, 82, 91, 94, 96

Comment réserver : 
Sur le site du Festival 
s
ur le site du théâtre buffon
sur le site du théâtre du Lucernaire

Crédit photos : Laurencine Lot