Au roman monstre de Houellebecq, il fallait toute la verve juvénile, l’audace insouciante du fascinant Julien Gosselin. S’appropriant le texte noir de l’écrivain qui allie cynisme et humanisme, le jeune metteur en scène, de moins de 30 ans, en fait une matière chorégraphique, dramatique où le soufre devient romance, l’immonde réalité poétique. Un choc atomique, électrique, une leçon de vie.

Disons-le tout net, la personnalité singulière de Michel Houellebecq et l’aura sulfureuse qui l’entoure, auraient pu être un sacré frein à la découverte d’une de ses œuvres majeures, Les particules élémentaires. Le travail d’adaptation et de mise en scène de Julien Gosselin sur 2666 de Roberto Bolano, nous fait  plonger dans sa vision d’un des romans phares de ces dernières décennies. Et une nouvelle fois, l'on est totalement porté par sa fougue et hypnotiser par sa façon unique, poétique d’aborder les sujets les plus scabreux, les plus pervers avec finesse et ingéniosité.

Loin de se contenter d’une simple restitution linéaire de l’œuvre, le jeune metteur en scène s’est immergé totalement dans la prose de Houellebecq. Il en a disséqué la mécanique afin d’en puiser la substantifique moelle. Décortiquant le texte, découpant les chapitres, il a su donner vie à ses deux-demi frères nés dans les années 1950 et dont on suit le destin croisé. S’appropriant la parole cynique tout autant que prophétique de l’écrivain, à la manière d’un chef d’orchestre très rock, il la libère d’a priori et de préjugés, transfigurant la noirceur du monde occidental pour en faire un message universel, porteur d’espoir. Et c’est toute la force de cette adaptation particulièrement soignée.
Tout en conservant l’ironie et le cynisme propre à Houellebecq, ainsi que sa force humaniste, Julien Gosselin transcende cette satire de la société post soixante-huitarde pour en faire un conte poétique et crépusculaire d’une rare intensité. Saisissant le public par son étonnante maîtrise des effets spéciaux et du plateau pour une première mise en scène, le jeune artiste nous entraîne au-delà des apparences pour dévoiler toute la beauté, toute l’intelligence de cette œuvre noire et profondément humaine.

En s’inspirant de la physique quantique et des particules opposées qui en sont l’élément fondateur, Houellebecq nous invite à une immersion dans la vie de deux hommes qui partagent certes des gènes communs, mais qui sont aux antipodes l’un de l’autre. Le plus âgé, Bruno (épatant Alexandre Lecroc-Lecerf) est un beauf au cœur tendre, un obsédé sexuel qui ne conclut qu’en de très rares occasions. Le plus jeune (surprenant Antoine Ferron), est un génie introverti, qui se rêve en sauveur ultime de cette humanité décevante et perverse. Tous deux se rejoignent dans cette soif toujours inassouvie d’affection, dans cette solitude pesante que la société en plein dislocation leur impose. 

Totalement fasciné par la fresque fleuve qui résulte de la fusion réussie entre l’univers de Gosselin et Houellebecq, on prend plaisir à suivre les aventures de ses deux êtres en quête de repère et d’amour dans ce monde occidental à la dérive, sous le regard inquisiteur et bienveillant d’un clone de l’auteur (impressionnant Denis Eyriey). La scénographie, volontairement dépouillant – une immense pelouse, bordée d’une simple estrade, a envahi la scène mythique de l’Odéon – permet une écoute attentive de ces bouleversantes et troublantes Particules élémentaires, magnifiquement portées par des comédiens habités. Une œuvre au noir qui transfigure le très controversé écrivain et donne l’envie de le découvrir. Bravo !
Informations pratiques :
Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq 
jusqu’au 1er octobre 2017
du mardi au samedi à 19h30, le dimanche à 15h. Relâche les dimanche 17 et mardi 26 septembre 2017
Durée 3h50

Générique :
Adaptation, mise en scène et scénographie de Julien Gosselin assisté d’Yann Lesvenan
avec Joseph Drouet, Denis Eyriey, Antoine Ferron, Noémie Gantier, Carine Goron, Alexandre Lecroc-Lecerf, Caroline Mounier, Victoria Quesnel, Geraldine Roguez, Maxence Vandevelde
Création lumière et régie générale de Nicolas Joubert 
création musicale de Guillaume Bachelé
création vidéo de Pierre Martin
régie vidéo de Jérémie Bernaert
création sonore  de Julien Feryn
costumes de Caroline Tavernier

Lieu :
Odéon – théâtre de l’Europe
Place de l’Odéon
75006 Paris

Comment y aller ?
Métro : sortie Odéon ligne 4
RER : sortie Luxembourg ligne B
Bus : lignes 63, 87, 86, 70, 96, 58.
Parkings : rue Soufflot, Place St Sulpice, rue de l'Ecole de Médecine.
Vélib' stations 6028, 6017, 6016

Réserver :
Par téléphone, au 01 44 85 40 40 du lundi au samedi de 11h à 18h30 (sauf jours fériés).
Au guichet du Théâtre de l'Odéon, place de l'Odéon, du lundi au samedi de 11h à 18h (sauf jours fériés) ; les jours de représentation 2h avant le début du spectacle.
Par internet sur le site dédié de l'Odéon-Théâtre de l'Europe.

Crédit photos : © Simon Gosselin