Les mots fussent, féroces, aigris, diablement caustiques. Les répliques assassines font mouche, les saillies drolatiques sont du miel terriblement savoureux, diantrement hilarant. Porté par deux fascinantes comédiennes, qui prennent un malin plaisir à jouer les vieilles médisantes, les odieuses acariâtres, le texte acide, âpre et piquant de Pierre Notte, dénonçant les dérives conformistes d’une société froide et clinique, s’envole et nous envoûte. Bravo !

Dans l’obscurité la plus totale, quelques notes de musique classique rompent bruyamment le silence. Litanies discontinues et répétitives, elles nous invitent à pénétrer dans l’univers noir et acide de la nouvelle fable de l’étonnant et mélancolique Pierre Notte. Dans un fracas post-apocalyptique, une lumière vive éclaire la salle et dévoile un plateau dépouillé. Sur un piédestal central, assises sur deux simples chaises, trônent telles deux Reines décaties, deux monstres du théâtre. Côté cour, la fascinante et tonitruante Catherine Hiegel, côté jardin, l’élégante et lumineuse Tania Torrens. Entre les deux femmes, la tension est palpable. Elles semblent avoir été posées là bon gré mal gré, l’une à côté de l’autre sans qu’on leur demande leur avis.

Est-on dans une maison de retraite, dans une cour d’immeuble, dans un jardin public, sous un abribus ou sur une place de village ? Difficile à dire. Chacun se fera son opinion. Ce qui est sûr, comme ne cesse de le répéter nos deux commères, c’est que personne ne viendra troubler leur solitude, leur existence morne. Elles ne doivent compter que sur elles-mêmes pour supporter cet indicible abandon, cet insupportable isolement. Loin d’être solidaire dans le dénuement, nos deux acariâtres mégères sont bien décidées à se faire la peau, du moins verbalement. Commence alors une joute orale des plus délectables. Méchantes à souhait, détestables juste ce qu’il faut, ces deux « Taties Danièle » vont s’en faire voir de toutes les couleurs avec un malin plaisir, une méchanceté des plus réjouissantes. 
S’affranchissant d’un monde moribond qui a perdu de son attrait à trop vouloir l’aseptiser, nos flamboyantes sexagénaires égratignent ces femmes qui ont recours à la chirurgie esthétique, ces êtres obsédés du sans gluten plus par mode que pour des raisons d’intolérance. Elles revendiquent le 100 % naturel de leurs rides, de leurs taches sur les mains, le plaisir volé d’une cigarette à la barbe de la brigade sanitaire qui veille à ce rien ne vienne enrayer la mort inéluctable de toute vie. Véritable attraction dans cet univers froid où l’hygiénisme a définitivement gommé toute humanité, nos deux vielles aigries sont le dernier rempart à abattre d’une société en fin de course. 

En bon observateur de son temps, un brin nostalgique, toujours caustique, Pierre Notte s’amuse pièce après pièce à esquisser la satire du monde qui l’entoure. De sa plume vive, poétique, il dépeint les attitudes, les petites manies de ses autres congénères. Délaissant un temps, les contes noirs, il signe un texte plus âpre, plus acide, une fable délicieusement méchante qui rappe, abrase la bien-pensance pour notre plus grand plaisir. 
C’est d’ailleurs avec une joie rare, une intense jubilation, que les deux anciennes sociétaires du Français se glissent dans la peau de ces deux vieilles dames odieuses et indignes, qu’a taillé sur-mesure le dramaturge. Tout en verve, Catherine Hiegel impose une nouvelle fois, sa présence flamboyante, sa gouaille irrésistible. Plus en retenue, Tania Torrens est divinement lumineuse et son élégance piquante fait mouche à chaque réplique. A elles deux, elles forment un duo cynique et cinglant des plus réjouissants. Une friandise pétillante et acide à déguster sans modération, rires garantis. 

Olivier Frégaville-Gratian d'Amore

Informations pratiques :
La nostalgie des blattes de Pierre Notte
À partir du 20 septembre 2018
En alternance une semaine sur deux : du mardi au vendredi 21h et samedi 16h/21h ou du mardi au samedi à 19h.
Générique :
mise en scène de Pierre Notte assisté d’Alexandra Thys
avec Catherine Hiegel, Tania Torrens
lumières d’Antonio de Carvalho
Son de David Geffard

Lieu :
Théâtre du Rond-Point
Salle Jean Tardieu
2Bis, Avenue Franklin Delano Roosevelt
75008 Paris

Reprise :
Théâtre du Petit Saint-Martin
17 Rue René Boulanger
75010 Paris

Comment y aller ?
Métro 
: station Strasbourg Saint-Denis (lignes 4, 8 et 9), station République ( lignes 3, 5, 8, 9 et 11)
Bus : lignes 20, 38, 39 et47
En voiture : Parking rue Saint-Martin face au Musée des Arts et Métiers 

Réserver : 
sur le site dédié du théâtre de la Porte-Saint-Martin

Crédit illustration de l'Affiche : © Stéphane Trapier
Crédit photos :  © Giovanni Cittadini Cesi