Emma Dante surprend, interloque et décontenance comédiens et spectateurs dans une histoire sans paroles, âpre, crue et féroce. Forçant les consciences, obligeant chacun à poser son regard sur la nudité de l’autre, sur la nature profonde de l’être humain, elle surprend et saisit un auditoire abasourdi, conquis. Au-delà des clichés, des normes, Bestie di Scena est un cri déchirant d’amour à l’humanité malgré ses perversions, ses avilissements, ses asservissements. Un ballet des corps bouleversant !

Sur une scène nue, alors que le public fait son entrée, 14 comédiens errent sans but précis. Portant des joggings et tee-shirts informes, ils se frôlent, se suivent, s’éparpillent prenant imperceptiblement le contrôle de l’espace. Lentement, ils se rassemblent pour former un groupe compact, une foule dense aux mailles resserrées. Puis dans un silence pesant, ils accélèrent à l’unisson leurs gestes, leur pas. Le claquement rythmé de leurs chaussures sur le sol sert de litanie à cette singulière pièce chorégraphique.

L’une après l’autre, chacune des âmes esseulées déambulant sur le plateau va venir en front de scène pour se déshabiller tout doucement. Le mouvement s’accélère. Tous se retrouvent nus face au public cachant plus ou moins maladroitement leur sexe. Commence alors un étonnant et drolatique ballet de mains où chaque être  essaye de préserver l’intimité de son voisin. Progressivement, ils vont finir par oublier qu’ils ne portent plus de vêtements et offrir ainsi leur corps imparfait à la vue de tous. Forcés de se dévoiler, ils vont apprendre à se libérer du regard des autres qui au fil du temps perd de son acidité, de sa férocité. 

S’interrogeant sur le métier d’acteur, sur la nature humaine et sa capacité à s’adapter en fonction des circonstances, la metteuse en scène sicilienne construit sa pièce comme une expérience scientifique. Mettant ses comédiens à rudes épreuves, les transformant peu à peu en animal de laboratoire, elle recrée artificiellement une sorte de big bang de l’humanité. Ainsi, chacun se confronte aux éléments extérieurs que leur fournit un deus ex machina mystérieux, insaisissable. Un jerricane d’eau et tous se précipitent en rang serré pour en boire une gorgée. Des balais tombent des cintres et l’un après l’autre, ils en empoignent un et nettoient frétiquement la scène souillée de détritus alimentaires. Si tous se conforment à une sorte de norme que leur impose la logique, certains s’en extraient montrant leur nature profonde qu'elle soit belliqueuse, animale ou joyeuse.
Mêlant humour burlesque et élan tragique, Emma Dante esquisse un portrait sans pudeur, sans fard d’une humanité à la dérive qui se cherche et s’affronte. Si la solidarité l’emporte bien heureusement, l’individualisme en fêle la belle harmonie. De son écriture faite d’urgence, de désespoir et d'espérance, l’accorte Sicilienne oblige le public à ouvrir les yeux sur le monde qui l’entoure, ses faiblesses et ses forces. Dans ces chroniques de mœurs, dans cette histoire sans paroles, chacun imaginera ce qu’il veut. Si certains tableaux font penser à des migrants en perdition cherchant sans relâche un moyen de survivre, d’autres rappellent dans le fracas des pétards, des évènements récents et funestes qui ont, à jamais, meurtri notre pays. 

S’affranchissant de toutes limites, dépassant les tabous, Emma Dante signe, avec ce bestiaire scénique, une pièce bouleversante qui nous touche en plein cœur. Un bijou chorégraphique d’une rare intensité, qui ne laissera personne indifférent. À voir de toute urgence !

Olivier Frégaville-Gratian d'Amore

 
Informations pratiques : 
Bestie di Scena d'Emma Dante
Festival d'avignon 2017
jusqu'au 25 juillet 2017 à 20h
Durée 1h00 environ

Reprise à Paris au théâtre du Rond-Point en du é au 28 février 2018

Générique : 
Mise en scène, conception, scénographie Emma Dante
Lumière Cristian Zucaro
Avec Elena Borgogni, Sandro Maria Campagna, Viola Carinci, Italia Carroccio, Davide Celona, Sabino Civilleri, Alessandra Fazzino, Roberto Galbo, Carmine Maringola, Ivano Picciallo, Leonarda Saffi, Daniele Savarino, Stéphanie Taillandier, Emilia Verginelli et Gabriele Gugliara, Daniela Macaluso

Lieu : 
Gymnase du lycée Aubanel
14 Rue Palapharnerie
84025 Avignon

Réserver : 
sur le site de la billeterie du Festival d'Avignon

Crédit photos : Christophe Raynaud de Lage