A l’heure où les dés de la destinée sont jetés, où tout est joué, une voix solitaire, trop longtemps tue, s’élève. Elle conte son quotidien, ses espoirs, ses rêves, ses premières fêlures, ses blessures mortelles. De cet ultime souffle de vie, la plume vibrante, ciselée de Solenn Denis en fait un grand et tragique cri d’amour que l’interprétation éblouissante, incarnée d’Erwan Daouphars souligne magistralement. Un bijou théâtral poétique, glaçant !

Dans un halo de lumière, une personne, vêtue de noir, au regard sombre, un brin triste, est assise sur un fauteuil vieillot, usé. Une lampe vintage et une table basse, sur laquelle une tasse de thé est posée, complètent ce décor concentré sur une petite estrade. Ainsi emprisonné dans cet espace confiné, l’homme silencieux (fascinant Erwan Daouphars) semble perdu dans ses obscures pensées. Bouche serrée, mine affligée, enfin sa parole se libère dans un souffle singulier, salvateur. 

Il, enfin, plutôt elle, car loin de l’identité que perçoivent nos yeux, c’est bien une femme qui se tient devant nous et qui conte sa morne vie. Tout commence par son enfance. Jeune fille sage, Marthe est élevée par une mère très stricte aux principes surannés. Romantique, elle tombe amoureuse du premier garçon qui la regarde comme une jolie fleur. Très vite, ils se marient, ont des enfants. Mais insidieusement, la routine s’installe, les kilos de trois grossesses et d’une alimentation riche, bonne, censée éloigner son époux de toutes tentations, aussi. 
À son corps défendant, beaucoup, moins attirante qu’avant, la distance s’installe, l’amour s’efface. Dans le déni, elle rêve à des jours meilleurs, refuse de croire à la fatalité d’un point final pour son couple qui s’esquisse au loin. Puis, c’est le drame, la terrible annonce. La respiration s’accélère, les propos deviennent plus violents, la parole vibrante. Son mari la quitte pour sa jeune secrétaire. Le choc est tel que l’indicible va se produire. Elle va tuer quelqu’un, l’acte désespéré d’une femme blessée dans son amour, d’un être à la dérive, mais certainement pas le geste d’une folle. Jusqu’au bout de son récit, Marthe est lucide, consciente. Elle ne cache rien, elle se livre sans pudeur, sans honte. Elle se défait du poids qui oppresse sa poitrine. 

Complètement saisi par ce récit brut, cru, on se laisse totalement emporté dans les méandres mémoriels et confessionnels de cette quarantenaire lâchée, abandonnée. Le texte fascinant, diabolique de Solenn Denis captive et bouleverse. Il prend aux tripes, secoue nos convictions, nos certitudes. Il nous emporte aux frontières du tolérable, du supportable, du compréhensible. Et pourtant, malgré tout, on se laisse convaincre par cette voix de femme troublante, surprenante que son crime était son unique échappatoire. C’est fascinant.
Si les mots nous touchent en plein cœur, c’est qu’ils prennent force et puissance grâce à la performance scénique d’Erwan Daouphars. Avec finesse et virtuosité, il nous entraîne de sa voix masculine sur les errances de cette épouse brisée. Très vite, on oublie qu’il est homme et on ne voit plus que Marthe, cette femme banale que l’usure du quotidien a rendu meurtrière.

Véritable claque dans les convenances, coup de poing dans la bienséance, Sandre est confession brûlante, sensible et horrifique qui chamboule, secoue, pousse à la réflexion. Un bijou théâtral unique, intense, un véritable coup de cœur !

Olivier Frégaville-Gratian d'Amore


Informations pratiques :
Sandre de Solenn Denis
Festival d'Avignon le OFF
tous les jours jusqu'au 26 juillet 2017, relâches le 12 et le 19 juillet 2017.
durée au 1h15 temps de navette inclus

Générique : 
texte de Solenn Denis
avec Erwan Daouphars

Lieu : 
Théâtre La Manafacture - Patinoire
2 A, rue des écoles
84000 Avignon
prendre la navette pour la patinoire

Comment réserver ?
Par téléphone au 04 90 85 12 71 de 10h à 18h à partir du 5 juillet, relâche le 19 juillet 2017
Par internet sur le site dédié de la manufacture

crédit photos : Pierre Planchanault