Tout est calme, volupté. Rien ne vient rompre la quiétude des lieux, la surface de l’eau qui recouvre le sol de la scène. Ni la fureur de Créon, ni les bravades d’Antigone ne viendront briser la douce harmonie qui règne dans la cour du Palais des papes. En revisitant le mythe tragique de Sophocle, Satoshi Miyagi invite à un voyage immobile, hypnotique dans l’art japonisant du théâtre. Déconcertant !

Petit à petit, les immenses gradins installés dans la cour d’honneur de la demeure papale se remplissent. Les bruits de pas, des conversations, remplissent l’espace sans pour autant perturber l’étonnant tableau scénique qui s’ouvre aux yeux des spectateurs. Dans une immense étendue d’eau, des silhouettes vêtues de blanc marchent lentement. Sorte de bonzes psalmodiant silencieusement quelques prières, ils portent religieusement d’étonnantes loupiotes. Doucement, tranquillement, le silence s’installe. Cérémonieusement, ces hommes et ces femmes, visages impassibles, cérusés, continuent leur étrange rituel. 

Du plus loin des entrailles de la bâtisse millénaire, émergent d’autres personnages, habillés de la même façon. Ils contournent le plan d’eau, se plantent face au public. Sourire espiègle, une jeune femme harangue en français la foule de sa voix gutturale. Elle chauffe la salle, nous prépare à affronter le mythe d’Antigone en japonais. Aidée de ses camarades, elle nous résume, non sans humour, le drame antique de Sophocle. Enfin, la cour du Palais des papes plonge dans l’obscurité. Le spectacle peut commencer. 
Les tableaux s’enchaînent, magiques, magnifiques, presque irréels. La scénographie épurée, imaginée par Junpei Kiz, est propice aux rêves. Ce décor zen contraste avec le drame vécu par l’enfant chéri de Thèbes. Découpée en cinq épisodes, les funestes derniers instants d’Antigone défilent lentement devant nos yeux. Ici, point de colère, de fureurs apparentes, tout est intériorisé. Toutes les émotions, les sentiments sont gommés. Seuls les gestes, les mouvements, permettent de déceler l’état psychologique des personnages. S’inspirant des différentes techniques du théâtre japonais, ainsi que de ce que devait être le théâtre grec antique, Satoshi Miyagi signe un spectacle singulier, contemporain, déroutant. Subjugué par l’esthétisme lyrique de la mise en scène, envouté par les sons exotiques de la musique live, on se laisse happer un temps par la beauté à couper le souffle d’images fascinantes, délicates, par ces ombres immenses qui s’impriment sur la façade magistrale du Palais des papes. 

Pourtant, un je-ne-sais-quoi nous empêche d’être totalement envoûté par cette Antigone distanciée, désincarnée. Néophyte dans cet art zen du théâtre, nous manquerait-il quelques codes pour être totalement séduits hypnotisés par ce jeu décalé, où la lenteur a une place primordiale, où tout est cérémonie ? Est ce le fait que gestes et paroles soient incarnés par des personnes différentes ? Ou tout simplement le fait que les tourments des âmes de cette tragédie antique soient trop intériorisés, on perd toute notion de tension, de drame ? Seule certitude, le travail minutieux de Satoshi Miyagi, le jeu tout en retenu d’une troupe au sommet de son art, donne à l’ensemble une aura gracieuse, élégante, qui, à elle seule vaut le détour. Un moment de théâtre qui invite au voyage dans l’onirisme du pays du soleil levant !

Olivier Frégaville-Gratian d'Amore
Informations pratiques :
Antigone de Sophocle
Festival d’Avignon
jusqu’au 12 juillet 2017 à 22H
Durée 1h35

Générique :
Mise en scène de Satoshi Miyagi assisté de Masaki Nakano
Traduction de Shigetake Yaginuma
Musique d’Hiroko Tanakawa
Scénographie de Junpei Kiz
Lumière de Koji Osako et Masayuki Higuchi
Son de Hisanao Kato et Koji Makishima
Costumes de Kayo Takahashi
Coiffure et maquillage de Kyoko Kajita
Avec Asuka Fuse, Ayako Terauchi, Daisuke Wakana, Fuyuko Moriyama, Haruka Miyagishima, Kazunori Abe, Keita Mishima, Kenji Nagai, Kouichi Ohtaka, Maki Honda, Mariko Suzuki, Micari, Miyuki Yamamoto, Moemi Ishii, Momoyo Tateno, Morimasa Takeishi, Naomi Akamatsu, Ryo Yoshimi, Soichiro Yoshiue, Takahiko Watanabe, Tsuyoshi Kijima, Yoji Izumi, Yoneji Ouchi, Yu Sakurauchi, Yudai Makiyama, Yukio Kato, Yuumi Sakakibara, Yuya Daidomumon, Yuzu Sato

Lieux : 
Cour du Palais des papes
Place du Palais
84000 Avignon

Réserver : 
sur le Site de la billetterie du festival d'Avignon
Par téléphone au +33(0)4 90 14 14 14

 crédit photos : © Christophe Raynaud de Lage