Une voix claire, douce, rageuse, s’élève contre les évangiles, les croyances ancestrales. Elle hurle sa vérité de mère meurtrie à la face de ce monde cruel qui lui a enlevé son fils. C’est le cri déchirant, vibrant d’une femme devenue iconique malgré elle, enfermée dans sa douleur et restée trop longtemps dans un silence coupable. C’est le souffle destructeur, Le Testament de Marie, mère de Jésus que nous livre, dans une interprétation magistrale, intense, une Dominique Blanc humaine, bouleversante. 

Quelle étrange sensation, quelle surprenante vision que nous offre la scénographie de Tom Pye quand on pénètre sous les ors de l’Odéon. En transformant la scène du théâtre en une chapelle dédiée à la Vierge Marie, il nous plonge au cœur du sujet. Invités comme dans les lieux saints à parcourir l’espace, à se recueillir devant cette icône universelle, les spectateurs montent sur les planches, découvrent l’étonnant décorum au son envoûtant imaginé par Mel Mercier. Côté jardin, un magnifique olivier, toutes racines apparentes, est suspendu dans les airs. Au sol, des babioles, une cruche, une échelle de bois, une cage trainent çà et là. Au fond, des lumignons éclairent d’une lumière douceâtre et chaude le lieu.  Côté cour, sur un perchoir de fortune, c’est un singulier volatile qui darde de son regard acéré la foule inquisitrice, un vrai vautour que surveille une jeune fauconnière. Mais c’est au centre que la pièce maîtresse donne sens à l’ensemble. Dans une cage de verre, la bienheureuse vierge Marie, tout droite sortie de quelques chefs d'œuvre de la renaissance italienne, trône majestueuse, royale. Un lys blanc à la main, portant étole bleue sur robe rouge, Dominique Blanc,visage radieux, sourire esquissé, est une madone de chair et de sang des plus impressionnantes. Elle est saisissante, singulière en icône biblique. Un petit tour dans ce bien curieux autel votif et chacun retourne à sa place, laissant seule cette statuaire vivante, curieuse et sacrée.
Alors que la musique s’évanouit dans les cintres, que la salle s’obscurcit, arbre et prison de verre s’élèvent dans les airs. Marie enfin libérée de son carcan, récupére le sage oiseau et file en coulisse. Sur scène, la symbolique religieuse disparaît, ne laissant que des objets du quotidien. On est à Ephèse dans la dernière demeure d’une vieille dame esseulée. Loin de l’image iconique de la mère de Jésus, Marie (lumineuse Dominique Blanc) entre sur scène vêtue d’un tee-shirt blanc sans forme, d’une chemise bleue et d’un jean. Femme simple, cheveux longs lâchés, elle s’affaire. Elle remplit une cruche d’eau, nettoie quelques objets. Rien ne la différencie des autres. Loin des tumultes, elle laisse dire les faux prophètes qui la sanctifient. Adulée par les « désaxés » qui ont élevé au rang de messie son cher fils, elle souffre en silence de cette mystification qui masque sa véritable histoire, ses faiblesses, la terrible vérité. 

Puis, la colère déborde. Sa voix s’élève. Les mots coulent hors de ce corps courbé, vieilli par le malheur, tel un flot violent, boueux, emportant avec lui évangiles, dogmes et autres fadaises érigés en fondement d’une religion en laquelle elle ne croit. Au fil d’un long monologue, elle détricote les beaux mensonges, les fascinants miracles que les amis sans père, sans repère qui gravitaient autour de son fils ont rependu, révélant aux yeux du monde sa prétendue nature divine. Elle ne veut plus cacher sa douleur de mère, sa souffrance de femme, qui n’a pas su détourner son fils de son funeste dessein, de son mortifère endoctrinement. Il ne sauvera pas le monde, elle le sait tout comme les autres mères qui ont vu leur enfant s’éloigner d’elles, s’enfermer dans un fanatisme fatal, meurtrier. 
Loin de l’image de l’immaculée conception véhiculée par les chrétiens, Colm Tóibín esquisse le portrait d’une femme triste, sans âge, qui survit plus qui ne vit. Se voulant subversif, il l’imagine lucide, imperméable aux boniments de son fils et des désaxés qu’ils collectionnent autour de lui. Il en fait une mère qui au crépuscule de sa vie décide de ne plus rien cacher, de dire sa vérité. Elle n’est pas sainte, juste humaine. Malheureusement, le texte de l’auteur irlandais manque de relief et de profondeur. Il survole, égratigne sans jamais vraiment casser les codes et les dogmes. La mise en scène, sobre, élégante, de Deborah Warner, adaptation de celle qu’elle tourne aux Etats-Unis et en Angleterre avec dans le rôle de Marie, Fiona Shaw, laisse toute la place à l’interprétation. Et c’est dans le jeu de la fascinante Dominique Blanc que la pièce se révèle. Magistrale, bouleversante, elle nous entraîne au plus près de son cœur de mère qui pleure, saigne. Rageuse, touchante, elle ne veut pas laisser impunis les crimes, circuler les fausses vérités qui ont entrainé son fils dans la pire des morts. Fabuleuse incarnation de Marie, la mère, la femme, la comédienne, auréolée de sa verve, de son talent, transforme en œuvre délicate, éblouissante, ce spectacle bancal. Amen !

Olivier Frégaville-Gratian d'Amore
Informations pratiques : 
Le testament de Marie de Colm Tóibín 
jusqu’au 3 juin 2017
du mardi au samedi 20h et le dimanche 15h
durée 1h20

Générique : 
Traduction française d’Anna Gibson 
Mise en scène Deborah Warner assistée d’Alison Hornus
Avec Dominique Blanc
Scénographie originale de Tom Pye assisté de Justin Nardella
Lumière de Jean Kalman
Costumes de Chloé Obolensky
Musique, son  de Mel Mercier
Assistante mise en scène : Alison Hornus 

Lieu :

Odéon – Théâtre de l’Europe
Place de l’Odéon
75006 Paris

Comment y aller ?
Métro : sortie Odéon ligne 4
RER : sortie Luxembourg ligne B
Bus : lignes 63, 87, 86, 70, 96, 58.
Parkings : rue Soufflot, Place St Sulpice, rue de l'Ecole de Médecine.
Vélib' stations 6028, 6017, 6016

Réserver :
Par téléphone, au 01 44 85 40 40 du lundi au samedi de 11h à 18h30 (sauf jours fériés).
Au guichet du Théâtre de l'Odéon, place de l'Odéon, du lundi au samedi de 11h à 18h (sauf jours fériés) ; les jours de représentation 2h avant le début du spectacle.
Par internet sur le site dédié de l'Odéon-Théâtre de l'Europe.

Crédit photos : Ruth Walz