Dépensière, ogresse assoiffée du sang du peuple, c’est l’image de soufre et de stupre que les pamphlets ont laissée d’elle à la postérité. Le travail minutieux d’Evelyne Lever, sur la correspondance privée de Marie-Antoinette, dévoile la femme au-delà des apparences. L’écriture vive de la dernière Reine de France, soulignée par la sobre mise en scène de Sally Micaleff et le jeu nuancé de Fabienne Périneau, révèle sa vraie nature vibrante et sacrificielle.

Loin des ors de Versailles et du Petit Trianon, dans un décor des plus minimalistes - une méridienne rose et une table d’écriture - , Marie-Antoinette, en négligé blanc créé par Franck Sorbier Couture, apparaît. Les cheveux relevés, les gestes assurés, elle est sans âge, elle a tous les âges. Frivole, primesautière, elle n’est qu’une enfant quand elle est arrachée à son aimante famille autrichienne pour épouser le futur roi de France. A peine est elle arrivée dans ce pays-ci, à peine tente-t-elle de se familiariser avec de nouvelles mœurs, de nouvelles coutumes, que déjà les premières remontrances de sa mère, l’auguste et autoritaire Marie-Thérèse, tombent tels de violents couperets.

Rebelle, un brin récalcitrante et pourtant fille soumise, la jeune femme essaie de concilier les plaisirs qui la font sentir terriblement vivante et les recommandations de celle qu’elle vénère et qui la contraignent à une existence morne. Partagée entre ses devoirs et ce que lui offre son nouveau statut de future Reine de France, la psychologie de Marie-Antoinette se construit entre conscience de ce qu’elle est, représente et l’interdit, l’excès qu’on lui permet. Pas encore véritablement femme, faute d’un mariage consommé, elle vit au gré de ses envies, trompe l’ennui, la mélancolie qui l’envahit.
Tout bascule quand après 8 ans de mariage, elle devient enfin mère. La jeune adolescente n’est plus. L’insouciance laisse doucement place à un sentiment maternel fort. Aspirant à une vie plus simple, elle privilégie son intimité loin d’une cour qui lui pèse. Bien qu’aimant son mari avec dévotion et amitié, Marie-Antoinette s’enflamme pour un beau suédois, Axel de Fersen. Cet amour passionnel sera-t-il consommé ? Nul ne le sait. La présence à ses côtés de cet homme aimant modifiera en profondeur l’inconséquente jeune femme.

Alors que les pamphlets ne cessent de la décrire en femme dépensière, en satyre assoiffée de sexe, que la cabale contre elle se déchaîne, la reine au contraire s’assagit. D’insouciante jeune fille, elle se transforme en un formidable animal politique. Combative, protectrice, elle va tout faire pour sauver les siens, pour sauver la monarchie telle que la conçoivent ses glorieux ancêtres. Plus les coups redoublent, plus le sort s’acharne, plus le terrible et mortifère destin l’entraîne vers sa chute, plus elle se bat, plus elle se révèle à elle-même, une femme forte subissant sans broncher les outrages, les violences, les insultes.
Loin des images d’Epinal de cette reine fantasmée par les uns, honnie par les autres, cette plongée dans la correspondance privée de la dernière Reine de France, permise par l’impressionnant travail de l’historienne Evelyne Lever, offre un éclairage différent sur sa personnalité, son caractère, un portrait intime intense et saisissant. Au-delà du personnage de légende, on découvre la femme derrière le masque. Aimante, maternelle, amoureuse, Marie-Antoinette se dévoile dans ses lettres témoignages d’un autre temps, d’une autre époque et pourtant si actuelles dans la forme, dans le fond.

Soulignée par la mise en scène économe de Sally Micaleff, l’écriture emportée, vivante, bouleversante de Marie-Antoinette touche et bouleverse. Elle nous entraîne au plus près de son cœur, elle nous fait partager ses tourments. Pris comme elle, dans les tourbillons de l’histoire, dans le récit d’une vie de femme, on se laisse séduire, charmer. L’interprétation lumineuse de Fabienne Périneau, qui s'affine avec le temps, y est pour beaucoup. Si parfois les mots accrochent, le jeu est fébrile, elle finit par se glisser dans la peau de cet être fort et fragile, de cette femme bafouée autant qu’adulée. Bien qu’elle ne soit pas aussi habitée que l’impressionnante Marianne Basler qui a créé le rôle, il y a de cela près de huit ans au foyer du théâtre de la Madeleine, la comédienne nous invite dans son boudoir afin de cotoyer l’âme de celle qui, à travers le temps est devenue une icône.

Passionné d’histoire, curieux d’un monde depuis longtemps englouti ou féru de Marie-Antoinette, courrez au lucernaire découvrir la vie de cette Reine hors du commun, de cette femme. Un bijou plein de verve et de tendresse. Passionnant !

Olivier Frégaville-Gratian d'Amore
Informations pratiques :
Marie-Antoinette, correspondance privée d’après le recueil de textes d’Evelyne Lever
jusqu’au 7 mai 2017
du mardi au samedi à 18 h 30 et le dimanche à 16 h
durée 1h10

Générique : 
Mise en scène de Sally Micaleff
Avec Fabienne Périneau
lumières  de Christian Drillon

son  de kidedo

Costumes de Franck Sorbier Couture

Lieu :
Théâtre du Lucernaire - Théâtre Rouge
53, rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris

Comment y aller ?
métro Notre-Dame des Champs (ligne 12), Vavin (ligne 4) et Edgar Quinet (ligne 6)
Bus 58, 68, 82, 91, 94, 96

Réserver :
sur le site du théâtre du lucernaire
par téléphone au 01 45 44 57 34

Crédits photos :  © Pascal Victor/ArtcomPress