Estropiés, défigurés, des milliers de soldats ont vu leur vie, leur destin brisés par la guerre de 14-18. Afin de leur rendre hommage, Aïda Asharzadeh s’est penchée sur le destin d’une de ces gueules cassées. Mêlant habilement estime de soi et immersion dans le monde d’illusion qu’est le théâtre, elle signe un texte bouleversant que la très esthétique mise en scène de Quentin Defalt souligne magnifiquement. Poignant !

Des rideaux de voile transparents masquent une partie de la scène. Des ombres s’agitent derrière hantant l’espace. Dans un faisceau de lumière, un jeune homme apparaît. Il s’appelle Eugène (épatant et charismatique Benjamin Brenière). La vie lui sourit. Il vient de rencontrer l’amour. Malheureusement, au loin, les fracas de la guerre se font entendre. Il ne peut ignorer les sirènes des combats. Quittant un Paris de fête, il se retrouve dans les sombres et boueuses tranchées de Verdun. Un obus éclate, il survit aux prix d’énormes souffrances et avec le faciès marqué à jamais par des stigmates de l’horreur. 

Soigné au Val de Grâce par une impétueuse infirmière (charmante Elisabeth Ventura), il se remet de ses traumatismes en compagnie d’autres soldats (tonitruant et ténébreux Matthieu Hornuss), mais persiste la blessure morale de ne plus avoir de visage, d’être un monstre aux yeux des autres. Il faudra l’immense talent et la gouaille d’une Sarah Bernhardt flamboyante (admirable et tonnante Amélie Manet), plus vraie que nature, pour enfin le sortir de sa torpeur. En lui proposant d’incarner, Cyrano de Bergerac, un des héros du répertoire au visage tout aussi étrange et singulier que le sien, elle va lui redonner goût à la vie. 
En s’inspirant de l’histoire tragique des gueules cassées, Aïda Asharzadeh signe de sa plume ciselée, poétique, une romance noire sous fond de renaissance de Phoenix, de résurrection. S’attachant à ce soldat aux espoirs déçus, elle esquisse une élégante mise en abyme du théâtre, où l’art dramatique, dépasse le simple divertissement pour devenir un remède prodigieux contre les maux de l’âme. La très belle mise en scène de Quentin Delfalt vient parfaitement souligner le propos de la jeune dramaturge et comédienne. Jouant des lumières et des clairs-obscurs, s’amusant des transparences de grands rideaux de tulle, il donne une profondeur fantômatique, une puissance spectrale à l’ensemble et nous entraîne dans un voyage vibrant au cœur de l’humain. 

Si tout comme Alexis Michalik après elle - dont elle a été l’assistante à la mise en scène sur Edmond -, Aïda Asharzadeh  puisse dans l’œuvre phare de Rostand matière à étoffer sa pièce. Elle y préfère la dimension humaine, tragique à celle plus romanesque et romantique des amours contrariées. S’éloignant du pur divertissement, elle nous invite à un voyage doux-amer au plus près de la nature humaine qu'elle soit bienveillante ou cruelle. Utilisant les ressorts de la tragi-comédie, la jeune auteure offre une réflexion poignante, troublante sur l’importance de la physionomie comme marqueur social dans une société d’apparence. Le regard d’autrui est-il si important, forge-t-il notre identité, notre place ? La différence est elle une tare ou une force ? Telle est la question qui nous est posée par ces bouleversants Vibrants. Un moment de théâtre hors du temps qui touche joliment au cœur.
Informations pratiques : 
Les Vibrants d’Aïda Asharzadeh
jusqu’au 30 décembre 2017
du mardi au samedi 20H30 et le dimanche 16h
durée 1h30

Générique : 
mise en scène de Quentin Defalt
avec Aïda Asharzadeh ou Elisabeth Ventura, Benjamin Brenière, Matthieu Hornuss, Amélie Manet
scénographie de Natacha Le Guen de Kerneizon
lumières de Manuel Desfeux 
costumes de Marion Rebmann 
musique de Stéphane Corbin
ambiance sonore de Ludovic Champagne 
masques de Chloé Cassagnes

Lieu :
Studio des Champs Elysées
15, avenue Montaigne
75008 Paris

Réserver :
par téléphone  via le studio : 01.53.23.99.19 & via Résathéâtre : 0892.707.705 (0,34 €/mn)
par internet sur le site dédié du studio des Champs Elysées

Comment y aller ? 
en métro :
 Ligne 9 - Alma-Marceau & Ligne 1 - Franklin Roosevelt
en RER : pont de L'Alma (ligne C) puis traverser la Seine à pied
en bus : Lignes 80, 42, 92, 63 et 72
en voiture :  Parking Alma George V, 7 av. George V & Parking François 1er, rue François 1er

Crédit Photos : © Jean-Christophe Lemasson