Deux hommes, une femme, un Paris à feu et à sang, un Juif qui se terre pour éviter les rafles, un marché odieux, abject, sont le sel noir de ce huis clos sous haute tension. De sa plume ciselée, acérée, Jean-Philippe Daguerre signe un texte intense, vibrant sur la nature des rapports humains exacerbés par la guerre, l’occupation, que sa mise en scène souligne avec finesse et doigté. Un huis-clos psychologique bouleversant, passionnant !

Tout est gris du décor au costume de monsieur Haffmann (épatant Alexandre Bonstein). Tout respire la tristesse d’une vie terne, morne. On est en 1942 à Paris dans l’arrière-boutique de sa bijouterie. Dehors, la ville s’est obscurcie, envahie par les nazis. Alors que les Juifs sont de plus en plus persécutés, soucieux de sa famille, il a envoyé sa femme et ses enfants au loin, chez des parents en Suisse. Seul, il a préféré rester, ne pas abandonner sa maison, son échoppe, son histoire. Alors que la rafle du Vel' d’Hiv vient d’avoir lieu, que ses affaires périclitent, il propose, autant pour sa survie que pour celle de son magasin, de céder à son principal employé, le très aimable Pierre Vigneau (Fabuleux Grégori Baquet) son fond de commerce et d’accepter de le cacher en attendant des jours meilleurs. 

Si l’offre est alléchante, le jeune artisan patron ou employé y met une condition, terrible, scabreuse. Stérile, il ne peut donner un enfant à sa femme chérie (radieuse Julie Cavanna), il demande donc à son patron de remplir à sa place une fois par mois le devoir conjugal, de servir de géniteur. Bien que troublé et réticent, Monsieur Haffmann accepte l’abject marché. Commence alors un huis-clos oppressant où les passions, les émotions, les sentiments vont se cristalliser, révéler les parts d’ombre de chacun et modifier à jamais nos trois protagonistes.
Homme de théâtre, Jean-Philippe Daguerre est plus habitué à adapter les œuvres d’autrui qu’à écrire ses propres textes. S’il prend sa plume régulièrement pour accommoder à sa manière quelques compositions pour la jeunesse, c’est la première fois qu’il se lance dans l’écriture d’une pièce entière. Et disons le tout net, c’est une réussite. S’inspirant de faits réels, il nous entraîne de son ton vif, ciselé, dans les méandres de l’âme humaine, au cœur de ce qui fait de nous des hommes. Sans pathos avec beaucoup de finesse, il nous conte l’histoire de ce trio étrange et aborde avec beaucoup de délicatesse le désir viscéral de paternité, la jalousie, la compassion, l’enfermement et l’envie vitale de survivre. 

Soulignant les tensions psychologiques, les rapports de force entre nos trois personnages, sa mise en scène tout en tempo décalé nous prend à la gorge. Crescendo, il rend l’atmosphère de plus en plus irrespirable et signe une pièce noire, un huis-clos poignant, suffocant. Si l’on est saisi, captivé par cette histoire humaine, c’est qu’elle est magistralement portée par trois comédiens investis et talentueux. Alexandre Bonstein est fascinant en homme reclus, prisonnier. Tout en pudeur et retenue, en humour caustique et répliques bien senties, il dessine un être complexe qui refuse le silence et accepte de se confronter à son ennemi dans un face-à-face final glaçant. Grégori Baquet se glisse à merveille dans la peau de l’homme prêt à tout pour être père quitte à s’affranchir de toute morale, à perdre son âme. Homme sans histoires, il révèle au fur et à mesure de la pièce la bête qui est en lui Enfin, Julie Cavanna est bouleversante en conjointe sacrifiée sur l’autel de la fécondité. Amoureuse, douce, l’opportuniste épouse laisse, place petit à petit, à une femme pleine de compassion, terriblement humaine. 

Olivier Frégaville-Gratian d'Amore
Informations pratiques : 
Adieu monsieur Haffmann de Jean-Philippe Daguerre
jusqu'au 30 juillet 2017
Durée 1h25
Festival d'Avignon le OFF

Générique : 
 avec Grégori Baquet, Franck Desmedt, Julie Cavanna, Alexandre Bonstein, Charlotte Matzneff
Mise en scène de Jean- Philippe Daguerre
Collaboratrice artistique : Laurence Pollet-Villard

Décors de Caroline Mexme

Musique de Hervé Haine

Lumières d'Aurélien Amsellem
Costumes de Virginie H 

Lieu : 
Théâtre Actuel
80, rue Guillaume Puy
84000 Avignon

réservation : 
par Téléphone au+33 (0)4 90 82 04 02 ou au  +33 (0)7 88 04 65 42
par internet

Crédit photos : Evelyne Deseaux