L’empoisonneuse, la vengeresse, Lucrèce Borgia mise en scène par Denis Podalydès, revient sous les ors du Français, magnifiée par une nouvelle distribution, imperceptiblement plus flamboyante, plus humaine. Les présences habitées et vibrantes de la sublime Elsa Lepoivre et du lumineux Gaël Kamilindi sont pour beaucoup dans la beauté bouleversante de cette reprise. Une réussite à (re)découvrir au plus vite.

Noires, vénéneuses, sépulcrales, des ombres dansent et virevoltent sur la scène du Français. Elles tournent comme des corbeaux autour d’une carcasse de gondole et des pilotis calcinés. C’est soir de Carnaval à Venise. Tout est possible. Trinquant, buvant, de jeunes patriciens  portant des masquent s’amusent, s’enivrent de vin et de femmes. Ils dissertent sur la vie, sur la fête, sur demain. Hommes d’armes, ils doivent se rendre sur la terre ferme pour accompagner une délégation en pour parler avec l’auguste duc de Ferrare. L’alcool aidant, ils se livrent aux pires digressions, rapportant ragots, rumeurs et méfaits, sur la femme de ce dernier, la terrible et venimeuse Lucrèce Borgia (éblouissante Elsa Lepoivre). Seul le jeune Gennaro (troublant Gaël Kamilindi) reste en retrait. Ne connaissant pas ses parents, il n’a pas eu à subir les foudres de la belle Duchesse.

Alors qu’il est seul, endormi, apparaît telle une déesse, une beauté blonde. Elle s’avance, droite fière. A chaque pas, ses dames l’aident à revêtir ses magnifiques atours. Masquée, divine, elle s’approche tendrement du jeune homme. A ses côtés, perplexe, étonné, Gubetta (fascinant Thierry Hancisse), son âme damnée, observe ce singulier manège. C’est la première fois, qu’il voit sa maitresse regretter ses actes, rêver de clémence, de magnanimité et imaginer une autre vie moins sulfureuse, plus apaisée. Mais, personne n‘échappe à son destin et surtout pas une Borgia. Prête à tout pour protéger ce fils né de l’inceste, elle ne pourra empêcher le drame à venir. Victimes des hommes, de son sulfureux nom, elle paiera le prix fort de sa trop tardive rédemption.
En s’inspirant de ce personnage de légende que l’histoire a couvert de boue avant de le réhabiliter quelque peu ces dernières années, Victor Hugo signe une pièce noire, un brin ampoulée, qui puise ses fondements dans les plus terribles tragédies grecques. Noircissant l’âme de cette fille de pape, au nom sulfureux, il en fait une héroïne fascinante, effroyablement cruelle, dont la dure cuirasse s’effrite pour l’amour d’un fils, pour un geste de tendresse. Par sa mise en scène funèbre et baroque, Denis Podalydès souligne toute la dualité de Lucrèce, toute la violence qui habite son cœur de femme dans un siècle d’hommes. Convoitée autant que honnie, elle s’arme, vénéneuse, pour protéger son cœur de mère d’un monde qui la rejette.

Dans le magnifique écrin concocté par Eric Ruf, Elsa Lepoivre fait revivre l’incandescente Borgia. Elle lui insuffle grâce et humanité. S’éloignant de l’interprétation plus retenue de Guillaume Gallienne, elle fait battre magistralement le cœur de Lucrèce. Bouleversante, fascinante, elle explose littéralement et confirme si c’était nécessaire son statut d’étoile du Français. Face à elle, le tout nouveau pensionnaire de la maison de Molière, Gaël Kamilindi se glisse dans la peau de Gennaro, le fils incestueux de la duchesse. Félin, il donne à son personnage une dimension romantique, bouleversante. Moins rigide que Suliane Brahim, dont il reprend, le rôle, il fait une entrée fracassante et remarquable sous les ors de la salle Richelieu.
Epaulé par l'étonnant Clément Hervieu-Léger, le tonitruant Nâzim Boudjenah et le fantastique Serge Bagdassarian, il embarque avec lui l’autre petit jeune de la distribution, le fascinant et déjà grand Julien Frison. A leur côté, Thierry Hancisse, inspiré par l’interprétation de son prédécesseur Christian Hecq, campe un Gubetta burlesque qui fait souffler sur la tragédie un vent frais, drôle, une respiration comique dans ces sépulcrales destinées. Enfin, Eric Ruf revient pour notre plus grand plaisir sur les planches et incarne à merveille ce duc jaloux, maladif et cacochyme. Souffreteux, emporté, rusée, il est tout simplement exceptionnel.

Loin d’être réellement différente de la très réussie version qui a vu triompher Gallienne deux ans durant, cette reprise est éblouissante, brillante. Un bijou étincelant à admirer au plus vite.

Olivier Frégaville-Gratian d'Amore
Informations pratiques : 
Lucrèce Borgia de Victor Hugo
Jusqu’au 28 mai 2017
durée 2h10 sans entracte

Générique :
Mise en scène de Denis Podalydès assisté d’Alison Hornus
Scénographie de Éric Ruf assisté de Dominique Schmitt
Costumes de Christian Lacroix
avec Thierry Hancisse, Alexandre Pavloff (en alternance), Elsa Lepoivre, Éric Ruf, Serge Bagdassarian (en alternance), Gilles David (en alternance), Clément Hervieu-Léger, Nâzim Boudjenah, Elliot Jenicot (en alternance), Benjamin Lavernhe, Claire de La Rüe du Can, Julien Frison, Gaël Kamilindi et les comédiens de l’Académe : Tristan Cottin, Pierre Ostoya Magnin  (en alternance), Marina Cappe , Ji Su Jeong, Amaranta Kun
Lumières de Stéphanie Daniel
Création sonore de Bernard Vallery
Maquillages et effets spéciaux de Dominique Colladant assisté de Laurence Aué et de Muriel Baurens
Masques de Louis Arene
Travail chorégraphique de Kaori Ito

Lieu : 
Comédie Française – Salle Richelieu
Place Colette
75001 Paris

Comment y aller ? 
métro : Palais royal-Musée du Louvre ligne 1, Pyramides ligne 7 et 14
Bus : 21, 27, 39, 48, 67, 68, 69, 81, 95
Parkings : Carrousel du Louvre, Pyramides, Petits-Champs
Réservations de place de parking ici et ici.

Réserver : 
Location 01 44 58 98 58
du mercredi au dimanche de 14h à 17h
Fax location 01 42 60 35 65
site internet de la Comédie Française - réservation

Crédit photos : © Christophe Raynaud de Lage, collection Comédie-Française